Résumés et analyses des principales oeuvres du poète romantique français Louis Aragon.
Louis Aragon (né probablement le 3 octobre 1897 à Paris et mort le 24 décembre 1982 dans cette même ville, à l'âge de 85 ans.) était un poète, romancier et militant communiste français. Il était considéré comme l'un des fondateurs du mouvement surréaliste en France et a publié de nombreux poèmes, romans et essais politiques au cours de sa carrière.
Quelques œuvres de Louis Aragon :
1. La semaine sainte, Louis Aragon 1958 :
Roman de Louis Aragon (1897-1982), publié à Paris chez Gallimard en 1958.
Rédigé durant l'année 1957-1958, le roman tel qu'il nous est donné à lire,
ayant pour motif principal la participation de Théodore Géricault à la fuite
de Louis XVIII durant les Cent-Jours, succède à un projet plus vaste,
travaillé de mai 1955 au début de 1956, qui aurait pris pour héros David
d'Angers et couvert quarante-deux ans, de 1814 à 1856. Si l'intérêt pour
Géricault allait croissant dans la réflexion esthétique d'Aragon dans les
années 1949-1957 (ainsi publiait-il "Géricault et Delacroix ou le Réel et
l'Imaginaire" dans les Lettres françaises du 21 janvier 1954), la parution de
l'étude Géricault et son temps en 1956 n'est sans doute pas étrangère à ce
changement de personnage principal et, par là, de perspective romanesque:
renonçant à une fresque immense - comme il le fit pour les Communistes,
réduits de toute la Seconde Guerre mondiale à la seule période 1939-1940 -, le
romancier abandonne surtout un républicain aux allures de "héros positif" pour
un artiste aux préoccupations moins évidemment proches de celles du militant
Aragon. Cette métamorphose fait passer le roman du réalisme didactique à la
peinture, qui intéressa toujours l'écrivain, de la genèse d'une conscience
politique (voir Catherine dans les Cloches de Bâle, Armand dans les Beaux
Quartiers). Le projet s'ouvre ainsi à une réflexion sur l'ambiguïté de
l'Histoire, qui tire les leçons du désenchantement consécutif aux événements
de Hongrie en 1956 et fait de ce premier roman indépendant du cycle du "Monde
réel", l'inauguration de ce qu'il est convenu d'appeler la "troisième période"
(voir le Roman inachevé, Elsa) de l'écrivain.
- À ne pas manquer : Florilège de Poèmes de Louis Aragon
Au "Matin des Rameaux", Théodore Géricault se trouve mousquetaire gris du roi,
dans le désordre parisien lié à l'annonce de la remontée de Napoléon le long
du Rhône, depuis son débarquement de l'île d'Elbe. "Quatre vues de Paris" nous
font circuler dans l'agitation du 19 mars 1814, qui produit, chez l'engagé
volontaire Géricault, une absolue désillusion: rencontrant au soir le jeune
Augustin Thierry, admirateur passionné de sa peinture, Théodore décide de ne
pas suivre le roi dans sa possible fuite, soudain assailli par le désir de
renouer avec un art qu'il croyait avoir abandonné pour toujours. Malgré cette
résolution, ému le soir même par la harangue du roi impotent, il accompagne le
cortège de cette "monarchie qui se déglingue" dans sa remontée vers le nord. A
Poix, il assiste à une réunion de conjurés ("la Nuit des arbrisseaux") et
comprend leur indifférence à la bataille politicienne, quand le problème qui
se pose à eux relève de l'économie à naître, et de la formation d'un autre
règne dans la cité: cette sorte de bouffée d'avenir, commentée dans un songe
éveillé par le narrateur, semble une autre voie de l'Histoire, contredite
aussitôt par l'épouvante d'un crime individuel. Tirant plus tard la leçon de
cette nuit ("le Vendredi saint"), Géricault suivra néanmoins jusqu'au bout
Louis XVIII, jusqu'à ce que l'ordre soit donné de se disperser, à Béthune. A
la fin de cette "Passion" de la politique ("Demain Pâques"), muni d'un
laisser-passer et d'une fausse identité, Théodore refera le chemin à l'envers:
"C'est drôle, la route n'est plus du tout la même, avec le soleil."
L' hésitation de la conscience dans une débâcle de boue et de pluie fait de
l'Histoire une fuite éperdue, un roman du désastre. L'immense travail de
documentation accompli par Aragon, qui lui permet de donner consistance à
l'intégralité de ses personnages, ne fait en rien de la Semaine sainte un
"documentaire" animé par une vague trame narrative: si, comme la presse de
l'époque l'avait noté, il "ne manque pas un seul bouton de culotte" à la
reconstitution, c'est que le détail le plus infime permet seul la
compréhension d'une époque, que le particulier le plus matériel est un
tremplin pour l'universel. Aussi le roman n'est-il pas tout à fait
"historique", comme le proclame (non sans provocation) un encadré initial de
l'auteur, puisqu'il ne s'agit pas de réanimer seulement le révolu, mais de
donner à lire, dans une construction savamment maîtrisée (correspondance de la
semaine symbolique et de l'itinéraire géographique des troupes royales), une
métaphore générale de la temporalité et de la politique. Par là, Aragon
réarticule les figurations du temps qu'il avait déjà développées (la
plate-forme filant vers le néant des Voyageurs de l'impériale, le fleuve
mortifère d'Aurélien), et précise leur portée politique: jusqu'ici en effet,
le pessimisme "historial" de l'artiste cohabitait vaille que vaille avec
l'optimisme historique requis par l'idéologie. La tragédie des années
cinquante (découverte du stalinisme, XXe congrès du PC soviétique) semble
fondre les deux tendances, non pour un fatalisme désabusé, mais pour obliger à
une relecture de l'Histoire, où l'exigence morale ne prendrait plus ses
souhaits pour d'immédiates réalités. Tant du point de vue esthétique (un
savoir convoqué pour être "rêvé" par l'imaginaire, dans un réalisme "sans
rivages" qui préfigure le Fou d'Elsa) qu'idéologique (une analyse qui intègre
le fond sombre des tableaux de Géricault dans ses propres représentations), la
Semaine sainte constitue autant un prolongement qu'une métamorphose: la
critique de l'époque s'y est quelque peu trompée, encensant ce livre
prodigieux pour l'opposer à ce qui le précédait, sans voir que le discours
comme la méthode déplaçaient le marxisme plutôt qu'ils ne le reniaient.
Correction non pas idéologique, mais esthétique (ainsi Aragon s'inspire-t-il
des visions picturales, coulant sa phrase sur la déroute militaire, en longues
traînées vertigineuses de deux pages quelquefois, qui se réveillent au sursaut
d'une lumière, d'une chandelle de tableau) après l'échec des Communistes,
réinvestissement de l'idéologie dans une nouvelle direction d'analyse, travail
de tressage métaphorique de la débâcle du roi et de celle de 1940, incarnation
splendide de l'Histoire dans une fresque réaliste et lyrique qui hurle sa
douleur, la Semaine sainte constitue sans aucun doute un chef-d'oeuvre. Mais
sur d'autres plans que les célébrations empressées de 1958 pouvaient
l'imaginer sommairement, trop heureuses de prendre (à tort) Aragon en défaut
avec lui-même, quand il renouvelait et son militantisme et sa création pour
les oeuvres de la maturité (voir les Poètes, la Mise à mort, Blanche ou
l'Oubli).
2. Aurélien, de Louis Aragon 1944 :
Roman de Louis Aragon (1897-1982), publié à Fribourg (Suisse) chez Egloff en
juin 1944, et repris à Paris chez Gallimard en octobre de la même année.
Dans ce quatrième volume du cycle intitulé significativement «le Monde réel»
(voir les Cloches de Bâle, les Beaux Quartiers, les Voyageurs de l'impériale
et les Communistes), Aragon a semblé abandonner la peinture politico-sociale
pour le roman d'amour. Mais rédigé du printemps de 1942 à celui de 1944, aux
heures les plus noires de l'Occupation, par un auteur passant alors dans la
clandestinité, Aurélien s'est aussi constitué au rebours de l'Histoire pour y
répondre, et la démêler. Parallèlement aux poèmes de la Résistance (voir le
Crève-coeur), l'engagement dans un récit clairement dissocié de la
circonstance historique revêtait en effet pour son auteur un caractère de
défi, d'affirmation de la littérature en tant que telle, quand tout semblait
la démentir ou la vider de son sens. Revendication donc d'un devoir du rêve
(dont la nécessité, au dire d'Aragon, se serait manifestée devant l'exemple de
sa compagne Elsa Triolet, qui achevait le Cheval blanc auquel Aurélien fait en
quelque façon écho), le roman se voulait aussi une description _ diagonale _
des répercussions de la guerre, à la manière de la Fin de Chéri de Colette
(voir Chéri). Donnant deux «pilotis» au personnage central (Drieu la Rochelle
et lui-même), Aragon a sans aucun doute souhaité éclairer une génération, mais
surtout tenter une explication de soi qui apparaît comme la véritable source
de cette autobiographie masquée.
Égaré dans une adolescence attardée après avoir passé huit ans sous les
drapeaux, de son service militaire à la fin de la Première Guerre mondiale,
Aurélien Leurtillois, jeune bourgeois désoeuvré, flotte à la dérive dans le
Paris des années vingt sans jamais avoir «ni aimé ni vécu». Sa rencontre avec
Bérénice Morel, femme mariée, jeune provinciale montée pour quelque temps à
Paris, lui apparaît en premier lieu insignifiante, puis va laisser place
(chap. 1-22) à une lente énamoration. La ressemblance de Bérénice avec le
masque mortuaire d'une noyée («l'Inconnue de la Seine»), puis le bris du
masque par Bérénice elle-même (37) jouent le rôle d'un présage désastreux.
Dans la débâcle d'une existence sans projet, Aurélien se «raccroche à cet
amour comme un homme qui se noie». Mais si Bérénice partage ce sentiment, elle
est un personnage d'énigme et de fuite, prise au piège de son rêve de
perfection. Désoeuvrement d'Aurélien, peinture de l'attente et fading amoureux
jusqu'à la nuit du Nouvel An 1923, durant laquelle Aurélien, désespéré, se
saoule et finit par coucher avec une entraîneuse du Lulli's, son bar de
prédilection, tandis que Bérénice l'attend chez lui après avoir quitté sa
famille (les Barbentane, personnages des Beaux Quartiers) et son mari pour le
rejoindre. Au matin, plus que cet accroc, c'est «l'impossibilité du couple» et
l'inadéquation de tout amour qui se manifestent dans leur face-à-face et
consomment la débâcle de leurs rêves (55). Bérénice s'enfuit et vit une
liaison avec le jeune poète surréaliste Paul Denis, qui la sauve du suicide.
Après une ultime rencontre dans le jardin de Monet, à Giverny, Bérénice
disparaît tout à fait pour rejoindre son mari (64). A la suite d'une
discussion avec Aurélien («Ah, tenez, votre morale d'homme me fait vomir») où
le roman semble lier le gâchage de l'amour aux pesanteurs d'une société
différenciant l'homme de la femme jusqu'à l'incompréhension, Paul Denis se
suicide. Errant alors de fêtes creuses en femmes sans intérêt, traînant sa
plaie dans des voyages, Aurélien finit, un an après sa rencontre avec
Bérénice, par accepter l'entrée dans «la vie»: il devient cadre dans l'usine
de sa famille (78).
Dix-huit ans après, lors de la débâcle de 1940, Aurélien (marié et père de
deux enfants) retrouve Bérénice dans sa province: elle n'a vécu que de son
souvenir. Les huit chapitres de l'épilogue rejouent alors en miroir convexe le
ratage de tout le roman: «Il n'y a vraiment plus rien de commun entre vous et
moi, mon cher Aurélien, plus rien...» Au retour de la petite fête absurde et
douloureusement inadéquate imaginée pour ces impossibles retrouvailles, les
Allemands tirent sur la voiture. Le roman se clôt ainsi avec la statue
symbolique d'un «accolement de faux amoureux» où s'exalte l'impossibilité de
toute rencontre: tandis qu'Aurélien tire fierté d'une vague blessure, Bérénice
agonise en silence, retrouvant à jamais le sourire de l'Inconnue de la Seine
(Épilogue).
Une intrigue réduite au minimum, une unité de lieu presque parfaite (Paris),
voire absolue si l'on considère que l'eau fait le lien entre l'île
Saint-Louis, Giverny et l'épilogue provençal, mais 78 chapitres pour dénouer
le roman d'amour: Aurélien, visiblement, prend son temps. C'est que la
narration y est soumise aux divagations du mouvement descriptif: des âmes,
d'abord, avec dès l'orée un monologue intérieur intemporel, sorte de portique
musical où la voix du narrateur se glisse sous celle du personnage éponyme,
mais aussi des éléments du paysage parisien. Aussi le découpage par chapitres
n'obéit-il en rien à une dynamique narrative, mais joue par rebondissements
d'images, modifications des teintes, s'estompant parfois dans des sortes de
«bras morts» rêveurs. Pareille liquidité d'organisation fait de la Seine _
omniprésente, tant par elle-même que dans le «masque de la noyée» _ à la fois
le modèle formel et le personnage principal du livre, où l'on peut à loisir
voir la métaphore de la dérive d'Aurélien, de l'époque, ou encore de
l'Histoire. Quelle que soit l'extension que l'on choisisse de donner à
l'image, la romantique et mélodieuse «nausée» d'Aurélien en fait un
roman-poème tragique _ et le nom de Bérénice n'est pas indifférent _ où le
maléfice des objets et des éléments incarne une représentation de l'existence
comme noyade. Par la fluence d'écriture, le jeu des refrains tressant des
rimes blanches, la permanence obsessionnelle de ce que Bachelard appelait (à
la même époque, exactement) le «complexe d'Ophélie», le roman fait contrepoint
à l'oeuvre poétique dans son ensemble en même temps qu'il ramasse, pour la
dépasser, l'expérience réaliste du monde réel: au centre de la création
aragonienne, on comprend qu'il représente pour son auteur un «livre de
prédilection» d'autant plus aisément que l'intimité même de son rapport au
monde, son désespoir constitutif et sa permanente tentation du suicide y sont
confessés comme jamais.
Pareil rôle de creuset conduit cependant à une superposition, plus complexe
qu'il n'apparaît, des différents enjeux. Ainsi Aurélien possède-t-il deux
centres: le chapitre 36, en surplomb, où une parole sans origine (le
narrateur, transformé en choeur) décrit le «goût de l'absolu», ce «tabès
moral» qui ruinera l'amour, mais également et contradictoirement la
description de la fête des anciens combattants, au chapitre 51 mis en avant
par Aragon lui-même, non sans intentions stratégiques, pour défendre la
connotation idéologique d'un roman mal accueilli par ses habituels lecteurs.
Il n'est toutefois pas certain qu'il faille choisir entre le «roman d'amour»
et le roman «à thèse», en écrasant la longue et grise sonate sous les
réductions d'école: à la fois crépusculaire et précis, poétique et réaliste,
étude de la parole amoureuse et antithèse délibérée du Gilles de Drieu la
Rochelle, Aurélien intègre toutes les données de l'esthétique Aragonienne.
3. Blanche ou l' oubli, Louis Aragon 1967 :
Roman de Louis Aragon (1897-1982), publié à Paris chez Gallimard en 1967.
Geoffroy Gaiffier, linguiste en retraite, construit un personnage de jeune
fille (Marie-Noire) pour essayer de comprendre à travers elle l'échec de son
amour pour Blanche, son épouse, qui l'a quitté depuis longtemps. Marie-Noire
fera figure d'«hypothèse» jusqu'à ce qu'elle devienne à son tour narratrice,
le roman «changeant de Dieu». La vie de Marie-Noire en 1965 et la recherche de
Gaiffier sur son passé s'entrelacent alors: lequel des deux est en mesure de
comprendre l'autre, voire de l'inventer? Dans la confrontation où elle se
transforme, Marie-Noire n'aide cependant pas à comprendre l'énigme Blanche.
Redevenu seul avec sa douleur, Gaiffier semble retrouver Blanche au cours
d'une entrevue qui est peut-être une hallucination. Le roman se précipite et
se brise dans le dernier chapitre: Marie-Noire meurt, étranglée par son amant;
Gaiffier retrouve «au-delà de lui cette grande plainte qui emplit le monde,
cette voix déchirée déchirante, qui parle, plus haut que les hommes, le
langage de leur malheur», et qui paraît la voix même du roman.
«Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes imaginaires. Les
prisons étaient vides, plusieurs personnes immensément riches. Ernest V adoré
de ses sujets... Jusqu'ici, les romanciers se sont contentés de parodier le
monde. Il s'agit maintenant de l'inventer»: ces derniers mots du roman,
accumulant les références (pastiche ironique de la fin de la Chartreuse de
Parme, renversement de la formule de Marx concernant la philosophie), peuvent
symboliser la pratique d'écriture et le mode de composition du roman.
Intertextualité presque permanente, jeu de louvoiement parmi les références
biographiques d'Aragon, ironie amère, récit décousu et qui n'a de cesse de se
désavouer pour montrer les coulisses de la création romanesque (voir le
Mentir-vrai), tout pourrait passer pour un jeu gratuit, et désespérément
«moderne», si le labyrinthe vertigineux n'était d'abord porté par le lyrisme
éblouissant d'une voix. Comme dans la Mise à mort, Aragon entraîne le lecteur
dans la confusion, proprement panique, d'une impossible confession; mais «un
homme masqué n'est pas autre chose qu'un homme». Emprunté au roman Luna-Park
d'Elsa Triolet, le personnage de Blanche couvre donc et dévoile à la fois
celui de la romancière, tandis que Gaiffier partage sa date de naissance avec
Aragon... Le texte s'explique alors de lui-même sur la déformation du
biographique _ le «mentir» du roman _ qui transforme l'imaginaire en
instrument d'explication du monde, en «astronomie de l'homme». Dans l'énigme
de Blanche-Elsa _ qui écrit en cachette du linguiste, comme Elsa Triolet
semble avoir composé son premier roman sans que son compagnon en sût rien _ se
rejoue donc l'impossibilité de la relation («Un perpétuel mourir») et le
«malheur d'aimer» («Qui êtes-vous, Monsieur Bonheur?») qu'Aurélien ou les
poèmes, du Crève-coeur au Fou d'Elsa, n'ont cessé d'explorer.
Mais ce bilan d'une vie montre que tout se dérobe dans un «oubli» qui est la
dynamique de l'être: le temps, l'histoire où le communiste avait «tenté
d'imaginer [le monde] autre», la langue que Geoffroy Gaiffier inspecte,
attentif à ses déchirures dans le parler des années soixante («Cette année est
aussi pour les mots celle de la mini-jupe»), et l'identité même du ou des
locuteurs, harassée d'une douleur qui hante Blanche ou l'Oubli pour porter le
roman bien au-delà de l'apparente «déconstruction» avec laquelle il travaille
et débat (commentant, notamment, les Mots et les Choses de Foucault: «Je ne
crois pas à l'homme abstrait»). Comme le récit ne se constitue que pour se
défaire, et laisser à nu le cri, le savoir linguistique qui abonde dans
Blanche ou l'Oubli n'est convoqué que pour être «rêvé» (voir le Fou d'Elsa).
Au sommet d'une oeuvre qu'elle explique magistralement, la déroute de Blanche
ou l'Oubli, portée par la flambée d'une écriture, est d'abord une diction de
soi qu'il serait indispensable de prendre en compte pour en finir avec les
caricatures et les réductions du personnage, énigmatique et controversé,
d'Aragon: «Je n'existe que de ce mensonge, je ne suis que cette ombre qui
n'existe que de ce mensonge, je ne suis que cette ombre qui a perdu son homme.
Je ne suis que cette plaie, au bout du compte. Je l'entretiens. Je ne crains
rien tant que la cicatrice, ne plus souffrir. L'oubli, le véritable oubli.»
4. Elsa, Louis Aragon 1959 :
Poèmes de Louis Aragon (1897-1982), publié à Paris chez Gallimard en 1959.
Situé par Aragon lui-même dans le prolongement des dernières pages de son
autobiographie poétique («Prose du bonheur et d'Elsa», dans le Roman inachevé,
1956), le recueil Elsa, du nom devenu célèbre de son épouse Elsa Triolet,
constitue l'un des moments essentiels du virage de la fin des années cinquante
inaugurant ce qui est désormais désigné sous le terme de «troisième carrière»
de l'écrivain. Après la désillusion née du XXe Congrès du parti communiste de
l'Union soviétique (où le rapport Khrouchtchev dénonça le stalinisme), le
poète Aragon, connu pour son engagement, travaille alors à modifier sa figure
en remettant davantage l'accent sur l'une des constantes de son oeuvre: à
l'auteur des Communistes succédera ainsi pour le public le poète de la
relation amoureuse. Pareille reconfiguration de l'oeuvre traduit surtout un
renversement des hiérarchies personnelles: si la politique ne peut plus
justifier une existence, peut-être alors l'amour (dont Aragon était déjà le
chantre depuis le surréalisme avec les Yeux d'Elsa [voir le Crève-coeur], ou
Aurélien) constituera-t-il l'unique lieu de la morale authentique. Après avoir
retravaillé son point de vue sur l'Histoire en 1958 (voir la Semaine sainte),
Aragon interroge l'origine même de toute temporalité dans une réflexion
poétique sur l'amour et la différence. Tant thématiquement que par le recours
à l'esthétique baroque (seule apte à rendre compte de la fuite à l'infini de
l'altérité) ou les modifications du mètre aragonien, Elsa marquait, et voulait
marquer, un renouveau qui se poursuivra par le poème (voir le Fou d'Elsa)
comme par un nouveau genre de romans (voir la Mise à mort, Blanche ou
l'Oubli).
Après un double exergue tressant l'écriture d'Aragon à celle de son épouse
(Roses à crédit, d'Elsa Triolet) et préfigurant dans le même mouvement la
thématique, centrale pour le livre à venir, de la rose (extrait de l'Empire
des roses de Saadi, où la figure de l'amour se détache significativement sur
fond d'un monde ruiné), le livre met en place un premier ensemble de dix-huit
poèmes où le «je» proclame la valeur absolue en lui de l'amour: «Mon orgueil
est d'avoir aimé / Rien d'autre [...] / J'étais né pour ces mots que j'ai dits
/ Mon amour.» Dans le prolongement du premier vers («Je vais te dire un grand
secret / Le temps c'est toi»), les six premiers poèmes, hétérométriques,
reconstituent l'itinéraire amoureux du «je»: sur un ton de proclamation («On
ne veut pas me croire / J'ai beau / L'écrire avec mon sang mes violons mes
rimes») et d'outrance tragique («Vois mes genoux en sang de prier devant toi»)
se profile un portrait du poète comme miroir de ce qu'il aime (huit strophes
d'octosyllabes réguliers, "Chanson du miroir déserté"). Les versets
reparaissent ensuite pour deux textes de souvenirs refermés paradoxalement sur
le refus de la mémoire au profit d'une nouvelle affirmation de l'amour absolu:
"O mon amour je crois en toi". Marqué par l'italique, le texte suivant fait
retour au «chant» en huit strophes de huit octosyllabes où l'Histoire se
manifeste, sous forme de colère désabusée, par l'élégie: «Nous étions faits
pour être libres / Nous étions faits pour être heureux.» Après deux rappels de
l'amour comme douleur et jalousie face aux rêves par où autrui s'échappe, une
nouvelle «chanson» en onze strophes (8/8/8/4, en rimes embrassées) affirme
(non sans intentions, après que l'auteur s'est plaint de disparaître des
romans d'Elsa) faire de l'aimée le centre de toute création. Poèmes
hétérométriques et vers réguliers alternent ensuite pour dire l'amour comme
une permanente oxymore: «Cet abîme est comme un azur». Le 18e poème rappelle
le statut de l'écrivain Aragon pour substituer au militant le visage de
l'amoureux: «Il y a ce qui est ma vie / Il y a toi ma tragédie.»
Favorisée par les dernières métaphores installant le thème du théâtre, la
section suivante, au coeur du livre («La Chambre d'Elsa, pièce en un acte et
en prose»), dessine la relation comme un dialogue impossible: les didascalies
prolifèrent en autant de poèmes des rêves impartagés, et le rideau finalement
retombe sur un «Mon amour...» balbutié. Une longue tirade en alexandrins
("Entracte") file alors la métaphore scénique dans une explication du tragique
moderne avec l'ancienne tragédie: «Tout le malheur n'est pas de votre règne /
Sombres héros qui lamentez en vain / La tragédie est au-dehors qui saigne.»
Le livre renoue avec son alternance de versets et de vers réguliers pour
reparler du malheur d'aimer (trois premiers textes) puis peindre la "Parabole"
de la rose («O terre enfin que je suis / Offerte à toi qui es la rose»),
aboutissant, après trois textes hétérométriques, à la chanson en cinq strophes
de cinq octosyllabes "la Rose du premier de l'an". Avec "Qu'est-ce qu'il
m'arrive", le corps même du texte se défait en vastes coulées traduisant le
désordre mental d'une interminable insomnie décrite sur huit poèmes lacérés
(«Je n'ai plus l'âge de dormir»; «Cela ne rime rime rime / Cela ne rime rime à
rien»); des «fantômes de chants» n'arrivent pas à se fixer, jusqu'au réveil à
l'aurore: «Ce que j'en puis savoir c'est qu'ils parlaient de toi.»
Un dernier poème ("Un jour Elsa ces vers") en huit strophes de huit
alexandrins referme alors le livre dans la forme traditionnelle de l'envoi par
quoi le poète assure à son amour la postérité: «Car ceux-là qui vont lire un
jour Elsa mes vers / N'y peuvent séparer ton nom de l'univers / Et leur bouche
de chair modèle ta statue.»
Livre bref étouffé sous les deux «sommes» qui l'ont précédé (le Roman inachevé
pour la poésie et la Semaine sainte pour le roman), il semble qu'Elsa ait
souffert et souffre encore de certaines incompréhensions. Sans doute
l'outrance du chant d'amour entraîna-t-elle dans son excès quelques suspicions
pour une lecture au premier degré, favorisée par la confusion de l'aimée
poétique et de la femme réelle. Mais si la parole amoureuse d'Aragon s'est
toujours faite hyperbolique, n'y a-t-il pas ici quelque naïveté à la
comprendre en fonction de la biographie? Suspecter la profération, du fait
même de sa démesure, ou prendre pour «incroyable» la tonitruance des images
sacrificielles («Vite apportez mon vin mon sang»), c'est se résoudre alors à
s'enfermer dans le débat piégé de l'«authenticité» que la citation de Charles
d'Orléans («Amoureux ont parolles peintes») dans le Roman inachevé aurait dû à
jamais désamorcer. «Oh comme au bout du compte tout cela fait Aznavour», dit
de façon plus amère encore le poète d'Elsa. Le mécanisme sur ce point est le
même que dans les Yeux et la Mémoire: une écriture privilégiant la coulée
s'aperçoit un moment de son excès, mais pour le revendiquer immédiatement _
«Je ne crains pas les mots dont on fit des cantiques.»
Un texte passant pour la représentation idéologique du couple apparaît pour ce
qu'il est véritablement, à savoir un questionnement complexe de l'amour et du
langage. Proclamée comme centre, l'aimée en effet n'a de cesse de se dérober:
«Mourir à douleur et renaître / Te perdre à peine retrouvée.» Sous la
tradition (réactualisée par Aragon, voir le Crève-coeur) de la romance
versifiée s'exprime un propos bien plus moderne, qui rappelle la «relation
impossible» de Lacan. En ce sens, Elsa dessine une nouvelle figure du «je»
lyrique, sujet arraché à son histoire, qui ne peut trouver consistance et
identité qu'au travers de la confirmation procurée par une altérité toujours
fuyante («Où es-tu toi dans moi qui bouges»), et ne parvient finalement à
s'appréhender que dans l'exercice débridé d'une langue: «Je suis le siège
obscur d'éclatantes menées [...] / Je ne suis plus l'écho que de mon
avalanche.» Alors seulement peut s'expliquer que le centre du texte s'attarde,
non sans une délicate ironie, à la description d'un dialogue impossible, et
passe, surtout, de ce «théâtre intérieur», pastiche du drame de Boulevard, à
un débat avec les auteurs baroques (Montchrestien, Garnier, Jodelle),
inaugurant ici la métaphore du théâtre comme «scène de soi» qui se répétera
dans toute l'oeuvre future (les Poètes, Théâtre /Roman). Toujours au bord de
se défaire _ comme en témoignent les phrases en flux de la dernière section _,
le sujet amoureux ne peut ainsi se reconstituer qu'en répondant aux excès par
une parole de parure: le «baroquisme», entendu comme privilège de l'outrance
et du vertige, désigne alors moins une esthétique qu'une condition.
Dans sa complexe brièveté, Elsa contient ainsi en germe toutes les thématiques
des oeuvres suivantes: l'image du temps comme «miroir à trois faces» se
déploiera à l'infini dans la prose de la Mise à mort, celle d'un théâtre de
pacotille en tant que critique de la poésie dans les Poètes, tandis que le Fou
d'Elsa constituera une méditation prolongée de l'incipit associant la femme à
la temporalité. Un tel rôle de creuset témoigne de l'importance du livre,
comme de sa profonde authenticité esthétique. La faillite de l'utopie
politique ne transforme donc pas l'auteur en Déroulède du couple, mais lui
permet de percevoir, à travers les haillons déchirés de l'Histoire, le fond
même de l'existence: il y retrouve ainsi, avec son portrait brisé, l'ontologie
désastreuse que d'une certaine façon le surréaliste pressentait (voir le Con
d'Irène), à laquelle ne peut répondre que le flamboiement théâtral d'un chant,
et avec lui le credo, réitéré, d'un impossible don de soi: «J'entends la
fureur et le bruit / Ma voix cherche la note haute / Qui passant la nuit et
les fautes / Éclaire la douleur d'autrui.»
5. Hourrah l'Oural, Louis Aragon 1934 :
Poème de Louis Aragon (1897-1982), publié à Paris chez Denoël et Steele en
1934.
Écrit en 1933 et 1934, à la suite d'un voyage en Union soviétique en 1932, le
poème s'est substitué au reportage qu'on attendait de l'ancien surréaliste qui
faisait alors ses débuts dans la presse communiste. Il traduit une lente
reconstruction de l'écriture sur le plan poétique après les vociférations du
poème-tract "Front Rouge", quand Aragon s'essayait dans le même temps au roman
avec les Cloches de Bâle, premier volume de son cycle réaliste du "Monde
réel". Compte rendu et propagande, le poème est d'autant plus "de
circonstance" que c'est la sanglante journée du 6 février 1934 qui incita
Aragon à le publier d'urgence, avec une dédicace aux "ouvriers tombés dans la
lutte antifasciste".
En quatre sections d'inégale importance, le poème figure une fable de la
Révolution soviétique ("le Capital volant"), puis le récit d'un voyage dans
l'Oural ("Magnitogorsk", "Lisva" et "Nadiejinsk") qui célèbre l'enthousiasme
et la saine vitalité révolutionnaires, comme le non moins splendide élan
d'industrialisation, avant d'achever l'itinéraire sur un regard porté à "un
grand écriteau rouge où on lisait": "Salut au parti bolchevik/ VKP/ et à son
chef le camarade Staline."
"On mécanisera les wagonnets / On a déjà commencé de mécaniser la fonderie /
Qu'est-ce qu'on ne mécaniserait pas": débordé par un enthousiasme sincère, une
tentative litanique d'oralité et le souci politique d'une transparence de
l'énonciation, le vers libre s'effondre sans cesse dans la redondance ("Gloire
sur la terre et les terres / au soleil des jours bolcheviks / Et gloire aux
Bolcheviks"), ne préservant d'anciennes trouvailles surréalistes que dans la
représentation polémique et caricaturale de l'ancien pouvoir russe, comme si
la phrase ne pouvait se redresser que dans la destruction. Il serait facile
alors d'ironiser à l'infini sur l'effondrement conjoint du rythme et de la
lucidité politique, quand Aragon (ainsi qu'il le reconnaîtra lui-même plus
tard, en commentant son oeuvre poétique) prenait pour argent comptant le
discours officiel, s'extasiant devant les fêtes stakhanovistes, les "nuits
d'émulation socialiste" qui n'étaient que des concours de surproduction.
Beuglant optimiste et aveugle, Hourrah l'Oural fait l'expérience d'un
poème-tract-reportage que quelques beautés essaimées ("une seule phrase de feu
danse dans / sa tête fripée") sont loin de pouvoir sauver à elles seules; mais
il faudrait éviter ici l'illusion rétrospective qui fait juger d'autant plus
sévèrement le poète prodigieux du Crève-coeur, des Poètes ou du Fou d'Elsa.
D'une part, les textes devraient être saisis en contexte, parmi toutes les
tentatives d'"engagement de l'écriture" que les événements politiques des
années trente expliquent; de l'autre, l'erreur politique dont on n'a pas fini
de se scandaliser renvoie aux problèmes intérieurs de la France, puisque la
célébration immodérée de l'URSS, née d'une illusion lyrique, se donnait aussi
pour argument l'opposition à la menace fasciste. L'essai avorté de faire
entrer le slogan en poésie (pour laquelle l'influence des réussites
maïakovskiennes n'est pas à négliger) marque alors un "bricolage" stylistique,
et la pénible avancée d'un apprenti, sans laquelle ses textes ultérieurs ne
seraient sans doute pas compréhensibles.
6. La culture et les hommes, Louis Aragon 1947 :
Oeuvre de l'écrivain français Louis Aragon (né en 1897), publiée en 1947. Elle
se compose de deux textes ayant d'abord servi de thème de conférence: "La
culture des masses ou le Titre refusé" et "La culture et sa diffusion", et de
deux allocutions illustrant les idées précédemment exposées: "L'exemple de
Zola" et "Adieu à Jean-Richard Bloch".
Sur le chemin des hommes vers le bonheur, la culture est ce trésor d'
expériences, de rêves, de travaux, qui peut justement aider les hommes à hâter
l'avènement du bonheur. Elle n'est pas l'apanage d'une élite, mais une
connaissance mutuelle, un échange qui permet l'enrichissement réciproque de
ceux qui la font avancer et de ceux qui s'en nourrissent -circulation à double
sens dont Aragon ne se lasse pas de souligner combien elle est essentielle. La
culture a par ailleurs un double caractère: elle est universelle, et elle est
nationale (d'où le principe: "refaire et continuer la France"); elle ne peut
se diffuser et se perpétuer que si elle tient solidement à ses origines. "La
grande culture humaine n'est pas faite d'amputations (dans les cultures
nationales), mais de leur coexistence, de leur harmonie." Dénonçant le
didactisme, la direction étatique et autoritaire de la culture, Aragon
prône la collaboration entre intellectuels, peintres, écrivains et gens
des villes et des campagnes, la création de bibliothèques, de ciné-clubs,
de groupes de théâtre, l'organisation de conférences, d'expositions, pour
que la vie de l'esprit s'élabore à tous les nivaux de la collectivité soit
communication directe et échange. Ainsi la culture deviendra ce qu'elle
doit être essentiellement, non pas une manne tombée d'en haut, mais "la
vie concrète de l'esprit".
7. Le fou d'Elsa, Louis Aragon 1963 :
Long poème de l'écrivain français Louis Aragon (né en 1897), publié en 1963.
Le thème de cette oeuvre, qui à certains égards tient de l'épopée, puisqu'il
s'agit ici des dernières années du royaume maure de Grenade, de son dernier
roi, Boabdil, et aussi du départ de Christophe Colomb, le thème donc s'annonce
déjà dans quelques vers du recueil précédent. "Elsa" (1959), où l'on trouve
aussi des thèmes comme ceux de la jalousie, du désespoir de l'homme amoureux
et de l'écrivain qui recevront plus ample développement dans le roman "La mise
à mort". On lit dans "Elsa": "Il m'arrive parfois d' Espagne/Une musique de
jasmin... Ah terre de la reconquête/Pays de pierre et de pain bis/ Nous voilà
faits comme vous êtes/de l' Afrique à Fontarabie." L' Espagne dont il s'agit
dans "Le fou d'Elsa", c'est d'abord et avant tout l' Espagne musulmane et
juive du moyen âge, avec tout ce qui fleurit en son sein d'hétérodoxe, tant
par rapport à l' Islam qu'au judaïsme traditionnel. La chute du dernier
bastion musulman dans ce pays est ici revécue et chantée du point de vue des
vaincus, de ce qu'ils sont en tant qu'êtres humains, mais aussi de ce qu'ils
représentent sur le plan de la culture. Cette redécouverte d'une culture, qui
a donné à l'Europe une nouvelle conception de l' amour, -Aragon l'a rappelé
déjà ailleurs -lui a transmis la philosophie grecque et bien des idées et
conceptions dont les hommes de la Renaissance feront leur profit, le poète en
a éprouvé le besoin dans les années de la guerre d'Algérie. "C'est sans doute
par les événements de l' Afrique du Nord que j'ai compris mes ignorances, un
manque de culture qui ne m'était d'ailleurs pas propre", écrira-t-il à ce
sujet dans ses "Entretiens avec Francis Crémieux" (1964). Le poème, où sont
mêlées "la prose et le vers, et des formes hybrides du langage qui ne sont ni
l'une ni l'autre de ces polarisations de la parole", qui comporte des chants,
des poèmes rimés, d'autres en versets, d'autres que l'on pourrait dire libres,
des morceaux de prose rythmés où généalement prend place l'élément
récit-historique, etc. ne se déroule pas tout droit. Comme déjà dans le roman
"La semaine sainte", il arrive que le poète se retourne vers ce passé et y
intervienne, mais il arrive aussi et plus souvent que son héros lise dans
l'avenir. La trame repose à la fois sur le drame de Boabdil, entouré de
notables déjà prêts à le trahir, hésitant à s'appuyer sur un peuple ballotté
entre les factions (et en tout ceci, le lecteur ne peut pas revoir la France
de 1939-1940), et sur la présence à Grenade, en ces temps troublés, d'un poète
des rues, une sorte d'inspiré, Keis, que l'on appelle Medjoun (par référence à
un poème d'amour persan), et qui chante l'amour d'une femme qui n'existe pas
encore, une certaine Elsa. Vouant un tel culte à une femme et non à Dieu,
encore pis à une femme future, le Fou sera poursuivi et emprisonné pour
idolâtrie. Et dans la prison, chantent avec lui d'autres personnages plus ou
moins hérétiques. Cependant, après avoir été roué de coups, le Fou sera
libéré. Mais la défaite, l'occupation de Grenade par les rois catholiques
l'obligent à fuir dans la montagne, où les Gitans cachent et protègent le
vieillard malade et délirant. C'est alors que, tout espoir perdu pour la
Grenade maure, le Fou se met à lire et chanter les temps futurs: ceux de Don
Juan, venu à la suite de la Croix tourner l' amour en dérision, ceux de saint
Jean de la Croix, la rencontre de Chateaubriand et de Nathalie de Noailles,
l'assassinat de Frederico Garcia Lorca, les "temps d'Elsa enfin", Elsa qu'il
tente d'évoquer par magie sans y parvenir. Il mourra chez les gitans, après
que son fidèle Zaïd ait été arrêté et torturé à mort par l' Inquisition,
entrée dans Grenade avec la reconquête, tandis que les navires de Christophe
Colomb s'en vont vers l'Amérique. Et le poète de 1963 de dire en son nom:
"...qui me reproche de tourner mes regards vers le passé ne sait pas ce qu'il
dit et fait. Si vous voulez que je comprenne ce qui vient, et non seulement
l'horreur de ce qui vient, laissez-moi jeter un oeil sur ce qui fut. C'est la
condition première d'un certain optimisme." C'est là en effet un des fils
directeurs de cette oeuvre complexe, cette symphonie dont un autre leitmotiv
est constitué par une certaine idée de la femme ("la femme est l'avenir de
l'homme") et de l' amour, par un retournement de l'élan mystique de Dieu ("Je
peux te le dire en face enfin que tu n'existes pas", dit le Fou à l'heure de
l'agonie) vers la femme et le bonheur terrestre. Mais c'est aussi une
méditation lyrique sur le temps, ou plutôt les temps différents que vit
l'homme, c'est encore la mélopée de la patrie trahie et vendue, c'est enfin le
drame pathétique d'un homme, d'un roi, dont les historiens du pays vainqueur
ont donné une image dérisoire, le Boadbil qui voudrait sauver Grenade et ne
sait comment. ("J'imagine un Boabdil en proie à ces déchirements à nous qui
sommes par la chair du temps en voie de disparaître et par l'esprit
appartenons déjà aux étoiles.") Philosophique, lyrique, historique,
psychologique même, ce poème pourrait bien apparaître comme une somme ou un
testament intellectuel de son auteur.
Louis Aragon (en tant que romancier) a été considéré comme l'un des plus importants de la première moitié du XXe siècle en France. Ses œuvres les plus connues incluent "Les Cloches de Bâle" et "Les Beaux Quartiers".
RépondreSupprimerEn conclusion, Louis Aragon était un artiste et militant politique talentueux qui a laissé une empreinte indélébile sur la littérature française et sur le mouvement surréaliste. Son engagement en faveur de la justice sociale et de l'égalité reste une inspiration pour les générations futures.
Louis Aragon était un poète et écrivain français, membre influent du mouvement surréaliste au XXe siècle. Sa poésie était marquée par une forte charge émotionnelle et une réflexion profonde sur l'amour et l'existence humaine, ainsi que par un engagement politique en faveur de la justice sociale. Aragon a joué un rôle actif dans la résistance française pendant la Seconde Guerre mondiale. Son œuvre continue d'inspirer les lecteurs du monde entier.
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