Résumés et analyses des principales oeuvres du poète romancier et dramaturge français Alphonse de Lamartine.
Alphonse de Lamartine, de son nom complet Alphonse Marie Louis de Prat de Lamartine, né à Mâcon le 21/10/1790 et mort à Paris le 28/02/1869 est un poète, romancier, dramaturge français. En savoir plus sur Wikipédia.
Quelques oeuvres d'Alphonse de Lamartine :
Alphonse de Lamartine |
La chute d'un ange - Alphonse de Lamartine 1838 :
Poème d'Alphonse de Lamartine (1790-1869), publié à Paris chez Gosselin en 1838.
Entre les Harmonies poétiques et religieuses et les Recueillements poétiques, ce poème épico-religieux aurait dû faire partie d'une gigantesque épopée spirituelle de la destinée humaine, dont Jocelyn aurait constitué l'un des moments, la neuvième et ultime réincarnation de l'ange.
Immense "épisode" composé d'un "récit" suivi de quinze "visions" d'ampleur variable (à la relative brièveté des cinquième, neuvième et quatorzième s'oppose la longueur des troisième et quinzième) et d'un court épilogue de 14 vers, la Chute d'un ange développe sur douze mille vers les aventures de l'ange Cédar. Ayant voulu devenir homme pour l'amour de Daïdha, la jeune fille dont il était le gardien, une descendante de Caïn, il connaît une suite de malheurs et de vicissitudes, dont la mort de sa femme et de ses enfants au désert. Désespéré, il finit par se tuer, mourant sur un bûcher, près du cadavre de sa bien-aimée.
Plus que cette trame évidemment chargée d'illustrer la punition d'une folie sacrilège, importe la variété de tableaux, comme la traversée aérienne de Cédar et Daïdha, la Terre avant le Déluge, la fuite des héros à travers la forêt vierge. Écrit en quelques mois de juin à décembre 1836, et de juillet à décembre 1837, le poème est l'aboutissement imparfait d'un projet longuement mûri depuis 1823, quand Lamartine envisageait déjà d'écrire l'histoire d'un ange déchu par amour pour "une des filles d’Ève" et condamné jusqu'à ce que son énergie le détourne enfin de l'amour terrestre pour réintégrer le royaume céleste par la souffrance et le sacrifice.
Tout le poème se donne comme le discours d'un antique solitaire du Liban, héritier des prophètes (d'où le titre de la septième vision: "le Prophète", qui s'adresse à un "jeune étranger" élu: "Car Dieu ne permet pas que sa langue s'oublie! / C'est vous que dans la foule il a pris par la main."
Expiation et épreuve se mêlent, ancrant le poème dans une théologie chrétienne peu catholique, mais représentative de la spiritualité lamartinienne. Ne déclare-t-il pas à la veille de la révolution de 1848 dans un "Post-scriptum" à l'"Avertissement": "Nous commençons une grande bataille, la bataille de Dieu"? Outre quelques remaniements dans les éditions suivantes, l'influence de sa bien-pensante épouse contraignit le poète à édulcorer en 1861 la dimension religieuse de son texte. Trop vite composée, l'oeuvre met en évidence le classicisme de Lamartine dans la versification. Paradoxe intéressant, car le sujet et les formes de l'imagination relèvent du romantisme le plus caractérisé. La Chute d'un ange illustre bien la célèbre formule de Rimbaud : "Lamartine, quelquefois voyant, mais étranglé par la forme vieille." Malgré cette inadéquation de l'esthétique à l'inspiration, qui explique en partie la mauvaise réception par un public froid, ou refroidi, le poème comporte plusieurs développements de grande qualité. Ainsi le célèbre "Chœur des cèdres du Liban" (première vision), où Lamartine varie le rythme des vers, alternant l'alexandrin et l'octosyllabe, et travaille une forme musicale.
Strophes paires et impaires, anaphores, invocation, adoration, tout conspire à célébrer les noces de la poésie et du chant pour glorifier "Dieu, Dieu, Dieu, mer sans bords qui contient tout en elle." Quant à la huitième vision, "Fragment du livre primitif", elle dit, sous une forme éclatée, le rapport de l'expression poétique à la parole divine :
Si je dis que ce livre est de Dieu, dites : Non !
Il épelle à son tour un signe du grand nom,
Il écrit quelques sons de l'infini symbole
Que l'esprit à l'esprit transmet par la parole.
Avant Vigny (voir les Destinées) et Hugo, cette Chute d'un ange inscrit Lamartine dans la lignée des mages romantiques.
Graziella - Alphonse de Lamartine 1852 :
Récit d'Alphonse de Lamartine (1790-1869), publié dans les Confidences (livres VII-X) à Paris chez Perrotin en 1849, et en volume séparé à la Librairie nouvelle en 1852.
Écrit sur les lieux mêmes du récit, d'août à septembre 1844, l'ouvrage évoque de manière romancée le premier séjour napolitain de Lamartine, alors âgé de vingt et un ans (30 novembre 1811-6 ou 7 avril 1812).
Organisé en quatre chapitres, avec un «Épisode» intercalé entre le premier et le deuxième, suivis du "Premier Regret", poème en alexandrins, avec un refrain (quatrain de trois alexandrins et un octosyllabe), le récit évoque le voyage de Lamartine accompagnant une parente en Italie. Après une étape romaine, il se rend à Naples, où Virieu, un ami d'enfance, le rejoint (chap. 1). Il fait connaissance d'un vieux pêcheur sur la plage de Margellina et, après une promenade en barque où il manque perdre la vie, il rencontre, dans l'île d'Ischia, Graziella, fille du pêcheur («Épisode»). Celle-ci tombe amoureuse de ce Français et refuse Cecco, le parti qui lui était destiné. Elle se réfugie dans l'île de Procida pour entrer au couvent. Le jeune homme la rejoint ; elle lui avoue son amour, et ils passent de délicieuses journées (2). Leur bonheur se poursuit à Naples (3). L'ami d'enfance arrive et, au nom de sa mère, ordonne au narrateur de rentrer en France. La mort dans l'âme, il s'exécute, laissant une lettre d'adieu pour Graziella. Plus tard, il apprend sa mort (4).
Le poème final chante le remords de Lamartine et le souvenir des heures heureuses: « Mais pourquoi m'entraîner vers ces scènes passées? / Laissons le vent gémir et le flot murmurer; / Revenez, revenez, ô mes tristes pensées! / Je veux rêver et non pleurer ! »
Trop souvent réduit à sa dimension autobiographique (d'ailleurs plus exacte dans la version qu'en donneront les Mémoires inédits, publiés en 1870), Graziella vaut surtout par la peinture toute lamartinienne des effets de l'amour sur un jeune homme et par la mise en scène d'une fantasmatique de la virginité. Dans un cadre naturel surchargé de souvenirs culturels, que domine une mythologie italienne revue par le romantisme, le texte s'évertue à évacuer autant que faire se peut la sexualité pour exalter la communion des âmes et l'innocence du rapport entre les amants : Graziella se comporte « comme une sœur qui sert son frère sans penser qu'il est un homme ».
Si «toujours au fond de [son] cœur» filtre une larme, le narrateur s'attache à démentir sa passion passée («Ce n'était pas le complet amour, ce n'en était en moi que l'ombre») mais avoue son trouble en de multiples occurrences devant cette fille du peuple s'offrant dans l'éclat de sa jeunesse. La référence à Paul et Virginie inscrit le texte dans une tradition et propose une rêverie sur la nature, les éléments, les choses autant que sur les beautés du peuple.
Le narrateur dispose alors les composantes d'un paradis, d'une utopie sentimentale et amoureuse, menacée par le sexe et la mort, lisible dans les violences météorologiques.
Cet ouvrage, l'un des grands succès de Lamartine (106 000 exemplaires vendus entre 1869 et 1895) fit l'objet d'une adaptation théâtrale _ un drame en un acte de Jules Barbier et Michel Carré, créé au théâtre du Gymnase le 20 octobre 1849 _, de trois opéras _ par Giuseppe Concone, livret de Marcelliano Marcello, 1856; par Antony Choudens, livret de Jules Barbier, 1877; par Jules Mazellier, livret d'Henri Cain et Raoul Gastambide, 1925 _, et de deux films _ dont l'un en 1926 comportait dans sa distribution Antonin Artaud dans le rôle de Cecco.
Composée de 173 courts chapitres, Geneviève est assortie d'une Préface dans laquelle Lamartine définit son projet: écrire une «série de récits et de dialogues à l'usage du peuple des villes et des campagnes». Première de cette série, Geneviève est dédiée à Reine Garde, couturière-servante aixoise. Poète, elle avait rencontré le maître pour qui elle nourrissait une admiration idolâtre. Outre ses vers, elle lui avait relaté l'histoire pathétique et édifiante de sa vie.
L'histoire de Reine reflète la réalité de la lecture populaire en cette première moitié du XIXe siècle. Qu'a-t-elle pu lire en effet? Outre les Évangiles, l'Imitation de Jésus-Christ, elle ne peut citer que Robinson Crusoé, la Vie des saints, Paul et Virginie et... Télémaque. Mais le peuple est peu concerné par un traité d'éducation rédigé pour un prince ou les malheurs d'une fille noble. Frappé par le «bon sens supérieur à [l'] éducation» de cette fille du peuple, Lamartine souhaite la naissance d'un «génie populaire». La conjoncture semble favorable: alphabétisation généralisée depuis la loi Guizot de 1834, meilleure intégration du peuple à la nation, croissance économique: «La pensée et l'âme vont travailler double dans toutes les classes de la société. Les livres sont les outils de ce travail moral. Il vous faut des outils adaptés à votre main.»
Type de la domestique, Geneviève accomplit un trajet exemplaire, qu'elle raconte au narrateur. Issue d'une famille pauvre et pieuse, elle perd ses parents, se fiance au bon Cyprien, mais sacrifie son bonheur à Josette, sa jeune sœur, qu'elle élève. Celle-ci tombe amoureuse d'un militaire de passage, qui lui fait un enfant et l'épouse secrètement avant de mourir à la guerre. Geneviève remplace volontairement en prison la sage-femme qui avait mis le bébé à l'hospice. Elle doit «entrer en condition» à Lyon et ne connaît que l'affection des animaux. Elle quitte cette cruelle famille, regagne misérablement ses montagnes, retrouve les acteurs de son pauvre drame et devient servante de Cyprien, marié. Tous meurent, et Geneviève est recueillie par le nouveau prêtre, Jocelyn. Enfin, sous les yeux du narrateur, le village témoigne sa reconnaissance envers cette belle figure et l'adopte. Dans l'épilogue, elle retrouve Bastien, le fils de Josette, adopté à l'insu de Jean, son mari, par Luce, pour remplacer son propre enfant, mort à l'âge de deux mois. Ultime réconciliation de la loi et de la nature sous les auspices de la religion et des autorités, la famille se reconstitue, harmonieuse, dans la montagne enfin heureuse.
Une littérature de la modernité, liée aux progrès du savoir et de la démocratie; une littérature du et pour le peuple de Dieu: il s'agit d'élever l'âme, d'exalter les vertus morales, de «plaire au peuple honnête». Le genre s'impose alors: «de simples histoires vraies et pourtant intéressantes», qui «réfléchirai[en]t de préférence ses bons sentiments, ses travaux, ses dévouements et ses vertus, pour lui donner davantage l'estime de lui-même et l'aspiration à son perfectionnement moral et littéraire».
La Préface revient sur un projet lamartinien de journal des masses vulgarisant ad usum populi le savoir contemporain. Cette utopie, conquérir le nouveau monde social, reste à l'horizon du rapport romantique de l'écrivain à la société tel que le pense Lamartine, comme unification intellectuelle et idéologique de sa production. Geneviève s'inscrit dans son oeuvre comme amplification de Jocelyn et narre l'histoire «vraie» de la servante Marthe, l'héroïne du poème. Le récit met en scène un mélodrame larmoyant, pétri de bons sentiments, se référant constamment à la Providence et célébrant les leçons des malheurs jalonnant et façonnant une vie d'abnégation.
Sa carrière de diplomate l'amenant à Florence en octobre 1825, Lamartine y commence une série de "poésies purement et seulement religieuses". Il les réunit d'abord en un album - Harmonies sacrées. 1826-1827 -, y ajoute de nouvelles pièces en 1828 et, de retour en France, l'enrichit de textes composés pour l'essentiel à Saint-Point entre l'automne 1828 et le printemps 1830. Ce recueil très travaillé, même s'il semble "sans liaison, sans suite, sans transition apparente", comporte 48 poèmes organisés en quatre livres (comprenant respectivement 11, 13, 11 et 13 poèmes). La cinquième édition
(1832) apporte quelques variantes, et l'ordre des poésies restera inchangé jusqu'à l'"Édition des souscripteurs" (chez l'auteur, 1860-1866). Seront alors ajoutés 17 textes en sus des "Révolutions" jointes en 1832, et déplacées trois poésies ("Retour", "Pour le premier jour de l'année", "Éternité de la nature") des livres III et IV au livre II.
Si les Méditations privilégiaient l'ode et l'élégie, les Harmonies furent d'abord conçues comme ensemble d'hymnes ou de "Psaumes modernes". L'épigraphe, empruntée au Psalmiste, confirme l'orientation générique: "Cantate Domino canticum novum". Ces chants nouveaux s'inscrivent dans une tradition et tentent de renouveler la célébration, l'adoration et l'expression de la joie du croyant. Tonalité heureuse jusqu'au retour d'Italie, que suivront deux autres inspirations: l'une douloureuse, marquée par l'angoisse ou la nostalgie, l'autre familière, empreinte de quotidienneté.
Une remarquable variété des mètres et des strophes anime ces poèmes. Aux habituels quatrains, sizains, dizains et aux strophes de plus grande ampleur (iso ou hétérométriques) s'ajoute le quintil ("Hymne à la nuit", I; "la Retraite", III; "Tristesse", IV) alternant parfois avec des strophes de sept vers ("Impressions du matin et du soir", II). Aux hexasyllabes, octosyllabes, alexandrins se joignent les mètres impairs: pentasyllabe ("Hymne à la nuit") ou heptasyllabe ("Pensée des morts", II).
L'hymne s'impose, figurant dans le titre de dix poèmes. Embrassant les heures, les âges, le bonheur chrétien et la souffrance humaine ("Hymne du matin", "...de la nuit", "...du soir dans les temples", "...de l'enfant à son réveil", livre I; "...à la douleur", II; "...au Christ", III; "...de la mort", "...de l'ange de la terre après la destruction du globe", IV), exhibant sa prédominance ("Encore un hymne", III), il se glisse dans le sous-titre ("Impressions du matin et du soir", II; "le Solitaire", IV) ou s'entoure de formes proches ("Invocation", "Bénédiction de Dieu [...]", "Une larme, ou Consolation", I; "Cantate", III; ou encore cantiques: "Éternité de la nature, brièveté de l'homme", "+ l'Esprit saint", IV).
Fidèle aux principes de la sensibilité romantique, Lamartine conçoit ces hymnes comme expression de l'effusion intime, qui "change en harmonie / le retentissement de ce monde mortel". Le cœur "résonne comme un temple où l'on chante sans fin" ("Invocation"). Truchement poétique, cette pensée qu'on laisse "flotter comme une mer où la lune est bercée" ("l'Infini dans les cieux", II), cette "Voix humaine", (IV), ce "souffle inspirateur" ("le Génie dans l'obscurité", III) traduisent "l'Idée de Dieu" (II), poussent "le Cri de l'âme" (III).
Reprise d'un thème des Méditations, l'insuffisance du langage, son incapacité à dire l'âme même, justifient l'entreprise poétique. S'approcher au plus près du "brûlant délire", c'est transcrire imparfaitement, dans l'essentielle déception d'une "langue embarrassée" ("Désir", II), des "concerts muets". "Invocation", poème programmatique, ouvre bien ces harmonies de l'"instrument divin" que clôt "A l'Esprit saint", ultime émanation d'un poète, nouveau David, dont la "harpe de Sion" vibre de l'"écho mourant des paroles de vie", proclamant sans cesse la "gloire" du "souffle créateur". Écrire la "langue inconnue" aux "sublimes accents" ("Poésie ou Paysage dans le golfe de Gênes", I), c'est écrire la transcendance.
S'élevant à la poésie cosmique ou inventoriant la simplicité d'ici-bas, les Harmonies contemplent dans la nature le "miroir éblouissant d'éternelle beauté" ("Poésie ou Paysage [...]"), lisent dans "le Chêne" (II) l'"intelligence divine", entendent dans les flots de "la Source dans les bois D***" (II) la "voix profonde" sublimée par la "prière aérienne" du "Rossignol" (IV). Idéalement, "l'Abbaye de Vallombreuse" (I) donne sa signification à son écrin montagnard des Apennins, en cette Italie, "veuve de nations", couverte de ruines, hommages "à celui qui survit" ("la Perte de l'Anio", II). Mais la nature, spectacle permanent de la divinité, ne recèle pas seule l'infini. La "Lampe du temple" (I) luit elle aussi de la lumière de "Jéhovah" (II).
"J'ai cherché le Dieu que j'adore / Partout où l'instinct m'a conduit" ("Pourquoi mon âme est-elle triste?", III): le poète structure le recueil en une quête, où ne manquent pas les étapes douloureuses. La tonalité élégiaque reprend alors ses droits. Tristesse, déréliction, mélancolie, approche de la mort, la gamme romantique de la déploration se déploie tout particulièrement dans "Novissima Verba" (IV). Si la mort de la mère ("le Tombeau d'une mère", II) ouvre à Dieu, celle d'une jeune Napolitaine ("le Premier Regret", seul poème baptisé "élégie", IV) laisse libre cours aux larmes du deuil ("Mon cœur est plein, je veux pleurer!"). "Milly ou la Terre natale" (III), humble patrie dont l'âme est la "mesure", compense cet accablement par une certitude sereine, celle de la réunion de tous les êtres chers. Le "Souvenir d'enfance" (I), thème lamartinien par excellence, alterne avec l'inspiration religieuse.
Douceur enchanteresse, délicieuse morosité, affections et ascèses morales: les beautés et les drames du quotidien offrent les charmes de l'intimité autant que ses douleurs, resserrement qui répond à l'expansion de l'environnement.
C'est dire l'unité profonde de l'univers et du moi, du souvenir et de l'expérience où fusionnent écriture et mysticisme. Salut à Xavier de Maistre ("le Retour", III), "Épître à Sainte-Beuve" (III), réponse à Victor Hugo ("la Retraite"): le dialogue avec les écrivains affirme hautement la mort des vers, "formés de syllabes muettes, / Si Dieu ne retentit dans la voix des poètes" ("Épître [...]").
Destiné "Aux chrétiens dans les temps d'épreuve" (I), le recueil, vaste prière, fervente oraison, parle de et à "l'Humanité" (II), évoquant même son combat pour la liberté ("Invocation pour les Grecs", IV), mais renvoie "l'Occident" (II) au "vaste Océan de l'être où tout va s'engloutir".
Sans être trompeur, le titre n'indique cependant pas que Lamartine rédige, en fait, un récit circonstancié des quarante mois les plus dramatiques de la décennie révolutionnaire. Soixante et un livres aux nombreux chapitres, trois mille pages: il faut cette dimension pour relater l'histoire tumultueuse, exaltante, épique et tragique de la Révolution française, d'avril 1791 à juillet 1794. L'entreprise illustre une conviction: l'Histoire est "la plus haute tragédie, le drame le plus difficile, le chef-d'oeuvre de l'intelligence, la poésie de la réalité".
Événements et "journées" scandent donc l'ouvrage, depuis la fuite de Louis XVI et son arrestation à Varennes le 21 juin 1791 jusqu'à la chute de Robespierre le 9 thermidor an II. Mais ils n'impriment pas à l'ordre idéologique du texte leur rigueur chronologique. Soucieux d'organiser son ouvrage selon une loi littéraire (empruntée tant au théâtre qu'au roman: unité d'action et captation d'intérêt), Lamartine suit une intrigue jusqu'à sa conclusion (ainsi la chute de la royauté jusqu'au 21 janvier 1793), ou accorde sa préférence à tel événement (le 10 août), au détriment de périodes plus longues. Scènes et tableaux (le célébrissime "dernier banquet des Girondins" en offrant l'exemple le plus achevé) diversifient l'écriture du récit.
L'orateur Lamartine, sensible aux éclats rhétoriques des grands personnages révolutionnaires, transcrit leurs discours. Au-delà des commentaires littéraires qu'il en propose, le copiste met en scène la parenté des doctrines exprimées avec les siennes propres. Sous l'historien transparaît le militant et l'homme d'idées. Poids des mots, choc des conceptions, la Révolution mobilise le langage: elle interpelle donc le poète, plus fidèle à son esprit que l'"annaliste".
Nombreux, circonstanciés, les portraits - parfois appuyés sur la physiognomonie - établissent une hiérarchie implicite des figures (au plus bas de l'échelle grouillent les sanguinaires). Principe d'explication redoublé par l'illustration (l'édition originale comportait trente-six portraits-vignettes), la description des personnages dramatise le récit : animés de sentiments visibles ou cachés, travaillés par les passions, soulevés, transfigurés par leur idéal, les personnages entrent dans une dynamique fictionnelle, qui extériorise un sens, celui d'une Histoire accouchant de la justice sociale.
A travers les individus s'énonce un jugement. L'Histoire possède une "conscience". D'où la nécessité de comprendre, même le plus horrible (ainsi les massacres de Septembre). D'où la mise en place d'une cohérence: certains hommes incarnent ("personnifient", aime à dire Lamartine) une époque ou une idée. La force des choses les détermine: "Les hommes naissent comme des personnifications instantanées des choses qui doivent se penser, se dire ou se faire" (livre LXI, chap. 17).
Cette loi historique porte un nom: ultime raison des événements, ordre de marche troublé - sans être contrarié - par les vicissitudes humaines, la Providence donne la morale de la Révolution. Étape décisive vers le "perfectionnement social", elle demeure lisible par les peuples comme mise en oeuvre de "dogmes" (liberté, charité et raison), certes souillés par le sang, mais vérité d'une modernité en gestation. La Révolution de 1848 frappe à la porte: la popularité de l'ouvrage s'explique aussi par ce contexte d'urgence.
Plus encore qu'une intervention dans le champ de l'Histoire - alors occupé par les grandes productions de Thiers ou Mignet -, parue au moment où Michelet sort les deux premiers tomes de sa propre Histoire de la Révolution française, l'Histoire des Girondins traduit le déchirement de Lamartine entre les impératifs d'une politique républicaine et l'idéal d'une démocratie généreuse et pacifique. D'où le statut ambigu de Robespierre, à la fois homme de la Terreur et incarnation de la nécessité révolutionnaire. La conclusion du livre illustre exemplairement cette inévitable contradiction. Le sang versé a révélé des vérités éternelles et "Dieu a mis ce prix à la germination et à l'éclosion de ses desseins sur l'homme" - reprise positive d'un thème maistrien. Mais on ne saurait "chercher à justifier l'échafaud par la patrie et les proscriptions par la liberté", réponse à l'école fataliste, car ce serait endurcir "l'âme du siècle par le sophisme de l'énergie révolutionnaire".
Puisque la Révolution se révèle "éclosion tardive et graduelle du christianisme dans la politique", Lamartine dans l'Histoire des Girondins amplifie les strophes enflammées de son ode sur les Révolutions (1832) qui annonçait: "Vos siècles page à page épellent l' Évangile: / Vous n'y lisiez qu'un mot, et vous en lirez mille; / Vos enfants plus hardis y liront plus avant!"
Le projet lamartinien d'une épopée monumentale, les Visions, remonte à 1821. Un ange, séduit par la grâce d'une jeune fille, veut devenir homme, connaît les vicissitudes humaines (sujet traité dans la Chute d'un ange, 1839), est condamné à renaître jusqu'à la fin du monde, quand son énergie le détournera de l'amour terrestre pour réintégrer le royaume céleste par la souffrance et le sacrifice. Jocelyn serait l'un des derniers épisodes de cet ensemble, écrit de 1831 à 1836. En partie inspirée par l'histoire de l'abbé Dumont, ancien précepteur de Lamartine, les 9 000 vers (alexandrins et octosyllabes, avec quelques hexasyllabes dans les stances) se répartissent en neuf époques, présentées comme un "journal trouvé chez un curé de campagne" (Prologue).
En 1786, Jocelyn renonce pour sa soeur à l'héritage paternel et entre au séminaire. A ce sacrifice s'ajoutent les adieux aux lieux et êtres chéris (I). La Terreur l'oblige à fuir le séminaire envahi et à se réfugier dans la grotte alpestre des Aigles, d'où il peut contempler l'exaltante nature (II). Il sauve deux proscrits, un adolescent blessé, Laurence, et son père mourant qui le confie en expirant à Jocelyn (III). Au printemps, en pleine amitié heureuse, il découvre que Laurence est une jeune fille: un chaste amour aboutit à une promesse mutuelle de mariage (IV). L'évêque de Grenoble, condamné à mort, l'appelle et l'ordonne prêtre pour pouvoir se confesser. L'idylle brutalement arrêtée, Laurence sombre dans le désespoir et Jocelyn connaît la souffrance (V). Au bout de la douleur, il exerce son saint ministère à Valneige et y mène une vie de foi et de renoncement (VI). Nouvelle épreuve: la mort de sa mère qui le ramène au pays natal (VII). Il accompagne sa soeur à Paris, où il médite sur la caravane humaine. Il revoit par hasard Laurence, qui est malheureuse (VIII). De retour à Valneige, avec la seule affection de son chien, il se voue à son prochain. Appelé au chevet d'une voyageuse mourante, il reconnaît Laurence et l'ensevelit dans la grotte (IX). Il l'y rejoindra après avoir trouvé la mort en soignant les victimes d'une épidémie (Épilogue).
Si l'on relève les thèmes privilégiés du lyrisme lamartinien (enfance, amour de la figure maternelle, femme idéalisée, paysage), deux éléments dominent: la nature et le christianisme. L'harmonie unit rythme des saisons et mouvement des cours. Le cadre montagnard sublime, renouant avec les grands classiques de la littérature alpestre (Rousseau, Senancour), enchâsse la pureté et favorise l'effusion. La prière s'y mêle au dialogue lyrique.
Épreuves et sacrifice s'inscrivent dans l'ordre divin. Ils font de Jocelyn une sorte d'Imitation de Jésus-Christ fortement tirée vers le christianisme social dont les valeurs rédemptrices - Dieu, travail (agricole surtout dans le seul passage doté d'un titre: "les Laboureurs", véritables "Géorgiques modernes", IX), famille, éducation - sous-tendent idéologiquement ce poème, épopée de la
foi et roman de l'amour pur.
Dernier poème publié du vivant de Lamartine (les Œuvres posthumes révéleront quelques rares vestiges), légèrement remanié en 1860-1861, il se présente sous la forme d'un «dialogue entre mon âme et moi». Un Avertissement précise au lecteur que ce chant fut écrit à Milly, où le poète s'était rendu pour assister aux vendanges pendant les derniers jours de l'automne 1857.
Au coucher du soleil, «Moi» console son «Ame», alourdie d'un «fardeau». Les vapeurs vespérales bercent le coeur meurtri d'une langueur sereine. La maison de pierre vêtue de lierre et de vigne offre ses doux souvenirs. L'âme s'installe dans son désespoir: devant elle, ne s'ouvrent que des cercueils.
Pourtant, elle se laisse émouvoir par ce «grand coeur de pierre». Les soeurs gazouillantes, la mère attentive reparaissent pour bientôt disparaître vers d'autres foyers ou la mort. L'hymne à la famille : «O mystère! ô coeur de la nature!» entraîne l'appel à Dieu: «Toi qui fis la mémoire, est-ce pour qu'on
oublie?» Au frémissement du deuil succède l'aspiration à la réunion des «âmes mortes». «Moi» reprend alors la parole et exhale «l'impression funèbre et douce»: une «main d'ange» fait d'un lange de son berceau un «sacré linceul».
«Je me couchai sur l'herbe, à l'ombre de la maison de mon père, en regardant les fenêtres fermées, et je pensai aux jours d'autrefois. Ce fut ainsi que ce chant me monta du coeur aux lèvres, et que j'en écrivis les strophes au crayon sur les marges d'un vieux Pétrarque»: l'on est tenté de lire dans cette ultime poésie un testament poétique et personnel. Évocation des épreuves subies et surmontées, des rêves avortés ou disparus, des deuils divers, le lyrisme s'y déploie, alimenté par la terre originelle. L'on pourrait même y voir un véritable florilège lamartinien: automne commençant, fin du jour, soir de la vie, sérénité du crépuscule, déploration mélancolique et nostalgie des souvenirs heureux, fuite du temps, présence de la mort, espérance en Dieu.
La forme dialoguée rend complices plus qu'il n'oppose l'âme douloureuse et le moi généreux, dans un redoublement intimiste. Dualité tonale et non déchirure, le couple poétique exprime l'ambivalence du moment et des impressions, la simplicité d'un bonheur passé et les tristesses de la déréliction. Une cohérence sentimentale unit paysage et maison à l'intériorité, selon une technique à l'efficacité éprouvée.
Le sous-titre _ «Psalmodies de l'âme» _ qui tire le poème vers le psaume, insiste à la fois sur l'élévation spirituelle, qui emporte toute la fin et surmonte la douleur, sur les modalités canoniques du genre et sur le chant.
Dramatisé à la manière des Nuits de Musset, le poème mêle, dans ses 316 vers, mètres et rythmes. Il organise alexandrins et octosyllabes du quatrain au quinzain, utilisant toutes les ressources de l'iso- et de l'hétérométrie, grâce à l'hexasyllabe combiné à l'alexandrin. La fluidité musicale, parfaitement maîtrisée, retrouve, en les sublimant encore, les accents des Méditations et des Harmonies.
Comprenant dans l'édition originale vingt-quatre poèmes, le premier recueil s'augmente dès avril de deux pièces écrites en 1817 et 1819 ("la Retraite" et "le Génie"). Six autres éditions se succèdent jusqu'en 1822. En 1823, la neuvième (chez Gosselin) ajoute quatre pièces ("A Elvire", "Ode", "la Naissance du duc de Bordeaux" et "Philosophie", ces deux dernières seules ayant été écrites après l'originale). En 1849 enfin, Lamartine porte à quarante et un poèmes le total des premières Méditations dans l'édition des «souscripteurs».
Les Nouvelles Méditations, promises dès 1820, regroupent vingt-six poèmes de tous les genres et d'inégale qualité, écrits entre 1815 et 1823. S'ouvrant sur "l'Esprit de Dieu", elles s'achèvent avec des "Adieux à la poésie". La deuxième édition remanie le classement et censure le "Chant d'amour". A partir de 1825 (quatrième édition), l'auteur leur ajoute plusieurs pièces. De surcroît, le tome V de l'édition des «souscripteurs» contient seize poèmes intitulés Méditations poétiques inédites et parfois appelés Troisièmes Méditations. En outre, Lamartine y inclut des «Commentaires» sur la composition des poèmes, écrits à partir de 1844, souvent fautifs, pour en expliquer la genèse et les circonstances. Enfin, on pourrait légitimement adjoindre à cet ensemble "le Désert", sous-titré "Méditation philosophique" (1856).
Rapidement épuisée, l'édition du 13 mars 1820 est un véritable événement littéraire, le plus décisif au XIXe siècle depuis Atala: la première manifestation _ reconnue comme telle _ du romantisme français. «C'était une révélation», dira Sainte-Beuve. Une première lecture y suit les principales étapes de l'aventure sentimentale avec Mme Julie Charles rencontrée en septembre 1816 lors d'une cure thermale à Aix-les-Bains. Retrouvailles à Paris pendant l'hiver, vaine attente l'année suivante à Aix, mort de la jeune phtisique en décembre 1817 à Paris: il n'en faut pas plus pour relier l'inquiétude douloureuse avant la mort de l'aimée ("Invocation", "le Lac" et "l'Immortalité", 1817), la détresse suivant sa disparition ("l'Isolement", 1818), et la quête de l'apaisement ("le Soir", "le Souvenir", "le Vallon", "l'Automne", 1819). D'autres pièces ("la Foi", "la Semaine sainte à La Roche-Guyon", "le Chrétien mourant", "Dieu", "la Providence à l'Homme", "la Prière", "l'Homme") expriment un fervent sentiment religieux retrempé dans l'épreuve à partir de 1818.
Le commentaire autobiographique, légitimé par l'auteur lui-même, fausse cependant le recueil. Elvire vaut comme femme aimée et perdue, et le «je» exprime l'expérience commune. Les Méditations parlent pour toute une génération en retrouvant l'universalité classique. Les paysages participent de cette généralisation: le lac du Bourget se fond dans une inspiration lacustre _ ou lakiste _, le Craz dominant Milly ("l'Isolement") renvoie à l'élévation montagnarde.
Cette déploration élégiaque rencontre la sensibilité du temps. «Le public entendit une âme sans la voir [...]. Depuis J.-J. Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre et Chateaubriand, c'était le poète qu'il attendait», écrira Lamartine dans sa Préface de 1849. Diffus, infusés dans de multiples textes, les thèmes favoris de ces années post-impériales se trouvent concentrés dans un mince volume (cent dix-huit pages). La critique salue ces «poèmes [qui] plaisent aux âmes sensibles, par les accents de la passion, de la mélancolie et de la douleur» (le Journal des débats, 1er avril), et ce poète qui a «senti qu'il fallait rechercher l'inspiration à sa véritable source: dans les idées religieuses» (Journal de Paris, 13 mars). Lamartine a réussi son pari: faire descendre la poésie du Parnasse et donner à la Muse «les fibres même du cœur de l'homme, touchées et émues par les innombrables frissons de l'âme et de la nature» (Préface).
Peut-être l'originalité réside-t-elle d'abord dans l'usage du mot «méditation». Genoude définit le terme dans son Avertissement: «Ce sont les épanchements tendres et mélancoliques des sentiments et des pensées d'une âme qui s'abandonne à ses vagues inspirations. Quelques-unes s'élèvent à des sujets d'une grande hauteur, d'autres ne sont, pour ainsi dire, que des soupirs de l'âme.» La thématique, sans être vraiment originale, transcende ce relatif handicap en déployant toute son efficacité dans les pièces les plus justement célèbres. Quand dans "le Lac du B..." le poète, se promenant seul au bord du lac du Bourget, évoque le souvenir mélancolique d'une autre promenade accomplie l'année précédente avec Elvire et demande à ces eaux de conserver dans leur éternité l'éphémère trace de l'extase passée, il joue sur l'omniprésence obsessionnelle et douloureuse d'un temps destructeur opposé à une nature immuable et revivifiante, complice et témoin d'un amour ainsi sauvé.
"L'Isolement" peint un paysage romantique élégiaque où, malgré l'indifférence du poète accablé, se fait entendre l'appel de l'idéal et où se lisent les métaphores d'un envol vers la mort. "Le Vallon" redispose les éléments des «beaux lieux» lamartiniens. «Archétype de l'objet intime» (J.-P. Richard), le vallon, chargé de correspondances symboliques, accueille les élans de la sensibilité. "L'Automne" dévoile un hymne à la nature superbement expirante, en harmonie avec la déréliction du poète, alors qu'une autre femme (Mlle Birch) va lui apporter, après les tourments d'une passion malheureuse, l'apaisement de la vie conjugale. "L'Immortalité" se charge du spiritualisme lamartinien, liant amour humain et amour divin. L'élan lyrique se combine avec l'élévation religieuse, comme dans "l'Hymne au soleil" (1817?) où la nature ressuscitée est glorifiée au nom du Créateur.
A ces thèmes promis à la postérité comme à la dégradation et la fossilisation en poncifs, voire en clichés, les recueils en ajoutent de bien différents. Si "A Elvire", (neuvième édition 1818?), "le Soir", "Souvenir" (1818), "le Golfe de Baya" (1813), "Adieu" (1815) les modulent aussi, les autres pièces s'organisent autour du sentiment religieux. Au "Désespoir" (1818), expression du malheur, répond "la Providence à l'Homme" (1819), fervent acte de foi dans l'infinie bonté divine. "Ode" (1817), "l'Enthousiasme" (1819), "la Foi" (1818?) appellent à la restauration religieuse, et les positions contre-révolutionnaires de Lamartine apparaissent encore plus nettement dans "le Génie", ode dédiée à Bonald (1817). "Le Temple" (1817) et les poèmes de 1819, "l'Homme", ode dédiée à Byron, qui reproche au poète anglais son scepticisme orgueilleux et rappelle la loi chrétienne d'humilité et d'amour, "la Prière", où le poète se déclare interprète de la nature auprès de Dieu, "la Semaine-sainte à La Roche-Guyon", "le Chrétien mourant", "Dieu", "la Poésie sacrée" composent un ensemble embrassant l'ordre divin et rendant sensible au coeur comme à la raison le projet providentiel, auquel "les Chants lyriques de Saül" (1818) offrent une tonalité épique complémentaire. La poésie demeure acte de glorification et chant sublime, parole du coeur et effusion de l'âme. Le poète, s'il ne peut prétendre au bonheur, mérite donc sa "Gloire" (1818), même si "la Retraite" le tente.
Les poèmes ajoutés au fil des éditions, réitérant les mêmes thèmes (politiques dans l'"Ode sur la naissance du duc de Bordeaux", 1820, avec le célèbre «Il est né l'enfant du miracle»; religieux dans "la Charité", "le Pasteur et le Pêcheur", "Philosophie", 1821), repassant par des lieux semblables ("le Lis du golfe de Santa Restituta", 1842; "Ferrare", 1844; "Ressouvenir du lac Léman", 1833), n'apportent guère d'élément nouveau, si ce n'est des pièces s'attachant sans grande originalité à lire la divinité dans les humbles trésors de la nature ("les Fleurs", 1837; "les Oiseaux", 1842), à associer ceux-ci à l'amour ("le Coquillage au bord de la mer", 1842), à la mélancolie ("les Pavots", 1847) ou aux deux ("A une fleur séchée dans un album", 1827?).
Si, dans les Nouvelles Méditations, "le Passé", "Ischia", "le Poète mourant", "Tristesse", "la Branche d'amandier", "Adieux à la mer", "Apparition" reviennent sur ces rivages désolés verser des larmes mélancoliques, "Sapho", "les Étoiles", "A El..." combinent la plainte avec la célébration du plaisir, que "Élégie" et "Chant d'amour" évoquent plus précisément, alors que "la Solitude" chante un hymne à la gloire de la nature. "Le Passé", "la Sagesse", "l'Esprit de Dieu", "Consolation", "l'Ange", "l'Apparition de l'ombre de Samuel à Saül", "le Crucifix", "Méditation improvisée à la Grande Chartreuse", "A un curé de village", "A Aix de V..." déclinent sur tous les tons (élégiaque, épique, dramatique) les aspirations spirituelles et religieuses de Lamartine. "Les Préludes", d'une facture composite, où mètres et strophes déploient les effets de leur diversité, embrassent un parcours poétique menant de l'inspiration sollicitée, et apparaissant sous la forme d'un génie, à la perte de celle-ci, en passant par un développement amoureux élégiaque, la tentation de l'action _ jusqu'au combat épique dans l'arène sociale _, et le retour à la quiétude bucolique. "Le Papillon" concentre métaphoriquement le «destin enchanté» de celui qui retourne «au ciel chercher la volupté». Si "la Liberté ou Une nuit à Rome" esquisse une inspiration politico-libérale, les cent quatre-vingts vers de l'ode à "Bonaparte", écrite après la mort de l'Empereur, s'élèvent aux hauteurs épiques pour condamner à la fin le «tyran».
Commençant par l'évocation du tombeau de Sainte-Hélène, elle chante la grandeur orgueilleuse du conquérant, puis sa déchéance, son expiation de l'assassinat du duc d'Enghien (légitimisme oblige), et renvoie l'Empereur au jugement des hommes et de Dieu. Enfin, les "Adieux à la poésie", qui clôturaient initialement le recueil, tracent le bilan d'un rapport poétique au monde, installent l'amertume du créateur désabusé, mais affirment l'éternité des vers issus d'une lyre que le poète naufragé abandonne, tel Orphée, sur les flots marins.
Quant aux Méditations inédites, elles exploitent le fonds Graziella avec "Adieu à Graziella" (1813?) et "Salut à l'île d'Ischia" (1842), ajoutent des pièces au monument spiritualiste ("Prière de l'indigent", 1846; "Sur une page", 1839?; "les Fleurs sur l'autel", 1846), et mettent en scène le poète dans son siècle ("Sur un don...", 1841), méditatif ("le Lézard", 1846; "l'Idéal", 1827; "Sur l'ingratitude des peuples", 1827), aimablement amoureux ("la Pervenche"; s.d.; "A Laurence", 1840; "les Esprits des fleurs ", 1847), séduit ("A une jeune fille...", 1847), élégiaque ("la Fenêtre de la maison paternelle", 1840?); elles incluent enfin une pièce de circonstance ("Sultan, le cheval arabe", 1838) et surtout "A M. de Musset, en réponse à ses vers" (1840). S'adressant avec condescendance à «l'enfant aux blonds cheveux», Lamartine prenant la pose du poète serein explique le monde et les lois de l'inspiration poétique («La vie est un mystère, et non pas un délire»), revient sur les errements de sa jeunesse sauvée par une «chaste apparition qui [l]e força d'aimer» et, en un plaidoyer pro domo, célèbre les joies de la purification. "Le Désert ou l'Immatérialité de Dieu", en onze sections, cherche dans «la respiration nocturne de la plaine» à saisir le mystère divin. La foi se ressource en cette expérience de la solitude silencieuse dans l'Orient désert, où la contemplation ouvre sur la révélation mystique: «Dieu n'est qu'une idée!» (voir le Voyage en Orient).
«Le plus grand musicien de la langue française» (Gautier) reste tributaire d'une poétique néoclassique affinée par les auteurs du XVIIIe siècle finissant (J.-B. Rousseau, Parny) et les poètes impériaux (Chênedollé, Millevoye).
Respectueux des formes canoniques (ode, élégie et, dans les Nouvelles Méditations, un fragment épique: "l'Ange"), Lamartine, «étranglé par la forme vieille» (Rimbaud), n'ose guère plus que les traditionnels rejets, contre-rejets et enjambements. Pas de dislocation romantique du vers chez cet enchanteur fort sage: «Classique pour l'expression, romantique dans la pensée, à mon avis, c'est ce qu'il faut être», affirme-t-il en 1823. Tout au plus joue-t-il en virtuose de la structure strophique.
Thèmes, genres, mètres: rien ne transgresse les codes dominants. La musicalité du vers tient lieu de révolution poétique. Privilégiant la sonorité du mot, le vers vise à la régularité. La cadence, très travaillée, combine la juxtaposition et le glissement. Cette «harmonie éolienne» (Sainte-Beuve) recourt à quelques procédés constants : flou artistique des mots, choisis pour leur valeur tonale, vibration du vers volontiers énumératif, chargé de périphrases, de formules oratoires, d'images souvent empruntées à l'arsenal rhétorique, d'épithètes (l'adjectivité romantique dénoncée par Musset dans les Lettres de Dupuis et Cotonet), rythme idéal du 3/3/3/3 fondé sur la symétrie, les parallélismes et le balancement.
L'évocation: tel reste le maître mot de la poétique lamartinienne, voie royale d'accès à ce qui constitue pour beaucoup l'essence de la poésie. Une ineffable émotion, un chant intérieur, les vagues et délicieux méandres du sentiment, prenant les couleurs de la mélancolie et de la nostalgie, des drames et des blessures privés: ce romantisme, souvent dénoncé de Musset à Flaubert, ne procède pas d'un travail sur le langage (même si Lamartine affirme que «à la fois sentiment et sensation, esprit et matière», la langue poétique est la seule «complète»), mais incite pourtant à la communion en touchant au plus près l'indicible. Dans sa seconde Préface Des destinées de la poésie (1849, déjà publiée en 1834), Lamartine définit de nouveau son entreprise. La poésie est «l'incarnation de ce que l'homme a de plus intime dans le cœur, et de plus divin dans la pensée, de ce que la nature visible a de plus magnifique dans les images et de plus mélodieux dans les sons»: la messe est dite.
Comme Graziella, Raphaël faisait initialement partie des Confidences. Probablement écrit en 1847, il relate, sous le masque transparent du nom d'emprunt, les amours de Lamartine et de Julie Charles (l'Elvire des Méditations).
Organisé en un Prologue et 106 sections, l'ouvrage se donne comme manuscrit confié à un ami par un être d'une grande beauté (d'où son surnom, évocation d'un portrait du peintre enfant), doué d'une «sensibilité si exquise qu'elle en était presque maladive en lui» (Prologue).
C'est l'automne en Savoie. Raphaël rencontre une jeune et belle étrangère, toute de «langueur indécise entre celle de la souffrance et celle de la passion» (6), convalescente et mariée. Il la sauve d'un naufrage sur le lac du Bourget, et l'amour naît. Premières confidences, inaccessible vertu: tout appelle le récit d'un destin, celui d'une jeune femme de vingt-huit ans marquée par la mort. Créole, orpheline, épousée par un «vieillard illustre», un vrai père, Julie a vécu, idolâtrée, au milieu de vieilles gloires, dans un «froid bonheur». Sa plus grande félicité serait de trouver ce «frère de l'âme», figure idéale qui l'a «désenchantée d'avance de tous les êtres réels» (19).
C'est alors l'évocation lyrique de cinq semaines idylliques. Mais Julie doit quitter ce lieu enchanteur. Raphaël se rend à Paris, en passant par les Charmettes (42-44), et la retrouve dans la capitale. Il fréquente assidûment le couple, tout en étudiant et en écrivant dans le dénuement. Après un hiver «délicieux», la ruine de ses parents contraint Raphaël à proposer ses poésies à un éditeur, qui les refuse. Malade, il doit quitter Julie et Paris. Elle promet de le rejoindre en Savoie. Raphaël y reçoit un courrier lui apprenant la fin de Julie, avec ses dernières lettres, toutes d'adoration.
Élevée par un «mari philosophe», Julie ne croit qu'au «Dieu invisible qui a écrit son symbole dans la nature, sa loi dans nos instincts, sa morale dans notre raison» (21), et proclame son amour, refusant par avance toute dégradation. Si cet amour doit demeurer «pensée pure», c'est aussi que la jouissance risque de tuer la jeune femme. Dès lors le récit sera celui d'une double conversion: celle de Raphaël aux délices de l'amour platonique, celle de Julie à la révélation d'un Dieu sensible («Il y a un Dieu; il y a un éternel amour dont le nôtre n'est qu'une goutte», 88).
Célébration d'une communion («C'était un transvasement continu et murmurant de l'âme de l'un dans celle de l'autre», 77), où l'automne se transfigure en un «printemps ressuscité de l'hiver» (27), description de l'enchanteresse Savoie, lieu mélancolique par excellence, déploiement des charmes lacustres, hymne à la nature oeuvre de Dieu, le texte se doit de compenser l'extase des âmes par le drame de la séparation, et par celui de la mort: celle-ci, souhaitée, risquée sur le lac au point culminant de la félicité (35), hante le récit, avant de le clore. En guise d'ultime plénitude offerte à Raphaël, se dessinera désormais sur le paysage savoyard l'empreinte d'une ombre chère. D'ailleurs, les dernières heures passées ensemble n'avaient-elles pas été endeuillées par la mort d'une hirondelle et la détresse de Julie? Cette tragique prémonition explique un détail du Prologue: l'affection de Raphaël pour ses «derniers amis», les oiseaux.
Premier recueil lyrique de l'auteur depuis 1830, il rassemble des textes écrits entre 1834 et 1838, toute une production ayant été utilisée pour les Œuvres publiées en 1832 et 1834. Six réimpressions se succèdent jusqu'à la reprise dans l'édition des «souscripteurs», avec quelques variantes et l'adjonction de trois poésies, chez Firmin Didot (1849-1850).
Sans unité, les Recueillements comportent des pièces fort inégales. Des vers d'album aux remerciements adressés aux auteurs pour l'envoi de leurs oeuvres, du "Cantique sur la mort de la duchesse de Broglie" aux "Toasts aux Gallois et Bretons réunis à Abergavenny" (1838), en passant par la première version de l'Épilogue de Jocelyn, un fragment du Saül et des poèmes dédiés à diverses
jeunes filles, les Recueillements exhibent leur facture composite. Si, sur un total de vingt-sept, l'on peut négliger aujourd'hui bien des poésies de circonstance, quelques poèmes de 1837 et de 1838 importent pour comprendre l'évolution d'une pensée.
L'"Ode à M. Félix Guillemardet sur sa maladie" (1837) développe le thème de la pitié humaine. Au lyrisme mystique des Harmonies poétiques et religieuses répond le lyrisme social du poème "Utopie" (1837, postérieur à l'"Ode"). Les trente et une stances de "A M. le comte de Virieu" (1837), évoquant un ami commun disparu, confient à leurs octosyllabes la traditionnelle tâche consolatrice. L'"Épître à M. Adolphe Thomas" (1838) revient sur la question de la mission du poète. Lamartine, en profonde sympathie avec l'humanité, continue d'en éprouver pour les êtres et les lieux chéris. Ainsi "la Cloche de village" (1838) revient-elle sur les terres de l'enfance. Enfin, le "Cantique sur un rayon de soleil" (1838) aurait pu trouver sa place dans les Harmonies.
Ces pièces rassemblent la plupart des thèmes et des préoccupations que Lamartine développe depuis plusieurs années, tout en laissant libre cours à une inspiration cosmique. C'est le poète social qui prend désormais le pas. L'oeuvre semble être passée de l'élégie ou de l'hymne à la prédication.
Adressée à son «frère», l'"Ode à M. Félix Guillemardet" exprime le remords du poète pour l'attendrissement égoïste dont il a bercé ses émois personnels: «Le temps n'est plus où j'écoutais mon âme / Se plaindre et soupirer comme une faible femme.» La personnalité dolente qui «remplissait la nature» a laissé place au chantre proclamant: «La douleur s'est faite homme en moi pour cette foule.» Les sizains _ cinq alexandrins et un hexasyllabe _ disent l'unité fraternelle du genre humain. L'ami malade bénéficie d'une sollicitude émue, profonde sympathie pour l'Autre. Cette pitié serait simple sensiblerie si elle ne s'articulait sur une prise de conscience, celle du «pénible travail de sa lente croissance / Par qui sous le soleil grandit l'esprit humain.»
Adressé à un jeune poète qui finissait chaque strophe d'une ode envoyée à Lamartine par ce vers : «Enfant des mers, ne vois-tu rien venir?», "Utopie" lui répond, inaugurant une première série de dix septains (six alexandrins, un octosyllabe) par: «Frère! ce que je vois, oserai-je le dire ?» Expression d'un idéalisme généreux («Élargissez, mortels, vos âmes rétrécies!»), le poème proclame ensuite sa foi dans le génie humain et dans les temps nouveaux où règnera l'Évangile (treize dizains en octosyllabes): «Un seul culte enchaîne le monde, / Que vivifie un seul amour.» Enfin, un retour aux septains insiste tout au long de onze strophes sur les dangers de l'impatience et les vertus d'une résolution calme et confiante, force tranquille du progrès: «Eh! que sert de courir dans la marche sans terme?» En effet, «Dieu saura bien sans nous accomplir sa pensée».
Hymne et fervent appel à l'amitié, déploration, écho des souvenirs, recueillement funèbre, "A M. de Virieu" commence par un triste constat («Nos rangs s'éclaircissent») et s'achève sur cette définition digne des Méditations: «La vie est un morne silence / Où le coeur appelle toujours!»
Si la fraternité, l'humanitarisme animent les Recueillements d'un souffle prophétique et unissent, à la lumière des vertus théologales (foi, espérance et charité), la méditation sur la politique et les événements privés, l'"Épitre à M. Adolphe Thomas" expose le plus clairement la mission du poète dans la Cité moderne: «Notre voix qui se perd dans la grande harmonie / Va retentir pourtant à l'oreille infinie! / Eh! quoi! n'est-ce donc rien que d'avoir en passant / Jeté son humble strophe au concert incessant?» Elle définit le rapport intime entre le poète et la Création: «Ces saints ravissements devant l'oeuvre de Dieu, / Qui font pour le poète un temple de tout lieu.»
Le registre intime trouve sa place dans le recueil. Le son de la cloche est «une palpitation du cœur». Correspondance entre la volée de la cloche et l'âme du poète, "la Cloche de village" chante le deuil en vingt sizains et un envoi. Quant au "Cantique sur un rayon de soleil", qui monte progressivement du tableau le plus familier («Je suis seul dans la prairie / Assis au bord du ruisseau») jusqu'à Dieu qui appelle tout à lui et redescend de la divinité aux choses puis au coeur («Oh! gloire à toi qui ruisselles / De tes soleils à la fleur!»), il déploie au long de ses trente-quatre quintils en heptasyllabes le symbolisme lamartinien dans toute sa splendeur. Il démontre ainsi, s'il en était besoin, l'unité profonde qui organise la création poétique du chantre romantique.
Issu d'un projet conçu en 1839, les Noirs, achevé en 1840 sous le titre Haïti ou les Noirs, en partie égaré, réécrit avec publication de deux fragments en 1843 (les Esclaves), acheté par l'éditeur Michel Lévy, joué par Frédérick Lemaître, éreinté par la critique, mieux accueilli par le public, Toussaint Louverture relate la tragique confrontation entre la France consulaire et la République haïtienne en 1802.
Au son de la Marseillaise noire et au pied de la tour où travaille Toussaint, on annonce l'arrivée des vaisseaux de Bonaparte (Acte I). Dans la tour, Toussaint évoque son destin, exprime ses doutes, revoit le père Antoine qui jadis «baptis[a] en [lui] la liberté», se résout à se battre («Je n'en puis plus douter. La guerre ou l'esclavage / Je couvrirai de fer et de feu ce rivage»). Pour galvaniser son peuple, il feint d'avoir prévu les premières défaites et explique à sa nièce Adrienne, fille abandonnée par son père, un Blanc, qu'il veut disparaître pour préparer la revanche et vérifier sa prophétie: «Haïti sera noir, c'est moi qui vous le dis» (Acte II). Dans leur état-major, les Français de Leclerc amènent avec eux les enfants que Toussaint avait autrefois confiés à la France. Pauline Bonaparte, l'épouse de Leclerc, prend un pauvre aveugle sous sa protection: elle ignore qu'il s'agit en fait de Toussaint. Leclerc veut l'utiliser pour faire parvenir des propositions de paix au chef noir. Moïse, général haïtien, trahit et propose aux Français de se venger du «tyran». Toussaint se découvre, le tue et s'enfuit (Acte III).
L'on passe ensuite dans la prison où est enfermée Adrienne. Entièrement familial, cet acte montre les retrouvailles d'Adrienne et des fils de Toussaint, dont Albert, qui l'aime. Celui-ci maudit «ceux qui la profanèrent» et qu'il admirait jusqu'alors. Salvador, le père indigne, fanatique de Bonaparte («Le consul, comme Dieu, veut que tout soit à lui»), croit pouvoir échapper à sa faute en faisant arrêter les enfants qui ont réussi à briser les fers de leur «sœur» et en confiant Adrienne au père Antoine, qui, en fait, la libère (Acte IV). Dans le camp de Toussaint, ses fils lui apportent les conditions des Français: «Entre les Blancs et nous complète égalité, / Leur drapeau seulement couvrant la liberté.» Albert a engagé sa parole. Déchiré, au moment de choisir son père contre la France, il est emmené par les soldats de Salvador. Toussaint, au comble de la douleur, cède («Vous triomphez, ô Blancs!... j'avais un cœur !»). Trahissant leur promesse, les Français attaquent à ce moment. Adrienne meurt en levant la bannière d'Haïti, Toussaint la ramasse et appelle aux armes (Acte V).
Citée à deux reprises dans son Histoire de l'art dramatique par Théophile Gautier évoquant d'abord la crise du drame romantique après la reprise de Ruy Blas en 1842 («Lamartine garde en portefeuille son Toussaint Louverture»), puis la représentation de 1850 («On se serait cru aux beaux jours de Marion Delorme, de Lucrèce Borgia et d'Antony»), la pièce de Lamartine illustre quelques-unes des préoccupations majeures du poète. Il s'agit pour lui d'atteindre un large public populaire, et l'écriture théâtrale exprime la même ambition que sa production romanesque (voir Geneviève).
Le choix du sujet est exemplaire. Il combine le rappel du message révolutionnaire humaniste, la mise en scène d'une Révolution devenue gardienne de l'ordre établi, l'affliction des humbles et des exclus, les contradictions de l'Histoire qui voit s'affronter les défenseurs des droits de l'homme et ceux-là mêmes qui devraient en bénéficier. Le poème dramatique appartient en propre à la tentative lamartinienne d'unir poésie, politique et action. Figure héroïque, Toussaint Louverture parle pour une humanité souffrante en quête de dignité.
Hymne à la liberté des Noirs («Debout, enfants, debout, le Noir enfin est homme»), et à la famille («Je suis père avant tout», dit Toussaint), le drame historique utilise les ressources du mélodrame (trahisons, déchirements pathétiques, émotions exacerbées...). Dénonçant racisme et loi de l'intérêt, la pièce vibre d'accents hugoliens pour évoquer les «abîmes» de l'esclave, ce monstre dont l'âme est une «nuit». Pièce qui met en scène une rupture tragique de l'Histoire, où l'Homme est arrêté sur le chemin de l'accomplissement démocratique, Toussaint Louverture se veut oeuvre missionnaire, fragment d'une épopée humanitaro-religieuse, et préparant un avenir providentiel.
S'inscrivant dans un genre abondamment représenté au XIXe siècle, de Chateaubriand à Loti, le texte de Lamartine relate un itinéraire spirituel entrepris après les échecs électoraux de 1831 et 1832. Ayant quitté Mâcon pour Marseille le 14 juin 1832, le poète s'embarque en juillet sur un brick nolisé avec un équipage de quinze hommes, un entourage nombreux et une abondante bibliothèque. Arrivé à Beyrouth le 6 septembre, il rend visite dans la montagne à lady Stanhope et à l'émir Béchir, part pour la Palestine le 1er octobre, ne peut rester qu'une journée (le 20) à Jérusalem en raison de la peste, revient à Beyrouth le 5 novembre. Julia, sa petite fille, dont on espérait que le climat soignerait la tuberculose, meurt le 7 décembre. En mars 1833, il se rend via Baalbek à Damas, et, en avril, aux Cèdres. + Jaffa, du 22 au 26 avril, alors que sa femme s'en va à Jérusalem, Lamartine écrit "Gethsémani ou la Mort de Julia", poignant poème en vingt-quatre huitains de sept alexandrins et un octosyllabe, qui figurera dans le Voyage. Par Rhodes et Smyrne, tous regagnent Constantinople, où l'on séjourne du 7 juin au 25 juillet, avant de revenir par Andrinople, Belgrade, Vienne et Strasbourg.
Lamartine retournera en Turquie en juin 1850 pour tenter l'exploitation d'un domaine agricole dans la région de Smyrne, mais ne pourra jamais réunir les fonds nécessaires. Un Nouveau Voyage en Orient en résultera (en feuilleton dans les Foyers du peuple, puis en volume en 1851-1853).
Le séjour levantin tient une place capitale dans la vie de Lamartine. Il le ruine, mais le confirme dans l'idée qu'il se fait de sa mission spirituelle. Enfin élu à son retour, il développe ses idées politiques et sociales, orientées par ses conceptions messianiques. Il se fera même l'avocat du soutien français aux maronites et d'une politique anti-anglaise en Syrie, exposant ses vues dans le "Résumé politique" qui clôt le livre. + Lamartine revient sans doute le mérite d'avoir "lancé" le Grand Liban, pour en faire l'un des grands mythes français aux conséquences toujours actuelles.
Publié sous la contrainte financière, l'ouvrage se conforme aux lois du genre - descriptions, impressions, réflexions... (le sous-titre l'indique d'ailleurs clairement) -, mais témoigne aussi d'une attention constante aux autres, aux spécificités culturelles, aux formes de la sociabilité. Ouvrage humaniste autant que pittoresque ou spirituel, le Voyage se distingue de ses prédécesseurs (en particulier l'Itinéraire de Paris à Jérusalem de Chateaubriand) en ce qu'il met en forme une authentique découverte d'un Orient enfin vu au-delà des références culturelles obligées. Là réside le principal intérêt de ce texte trop ignoré. Malgré son ampleur (plus de mille pages), nonobstant l'inévitable pose du poète romantique voyageur contemplant la mer, le désert ("le Désert ou l'Immatérialité de Dieu", publié dans le Cours familier de littérature en 1856, fut sans doute composé à cette époque), la Terre sainte..., et déployant méditations ou vues cosmiques, le Voyage combine, avec bonheur souvent, vision poétique et observation.
Quoique présenté comme un simple ensemble de notes (dans l'Avertissement), le livre apparaît à la fois comme journal d'une traversée, relation de la vie de voyage, récit de rencontres, album de panoramas, pèlerinage au berceau du christianisme - rendu tragique par la mort de la petite Julia -, tableau ethnographique, historique, politique et culturel des contrées visitées : tous tableaux représentés selon les codes d'une imagerie romantique et composant une esthétique où ruines, exotisme, couleurs et lumière se trouvent naturellement réunis. La description prend en charge lieux, gens et coutumes, rendant compte des "images enchantées" qu'ils suscitent.
Quête de l'origine, où thèmes familiaux et affectifs se mêlent aux effluves spirituels, le voyage aboutit au silence devant le mystère divin: "Le silence est une belle poésie dans certains moments. L'esprit l'entend et Dieu la comprend: c'est assez" ("Gethsémani"), après avoir permis d'accéder à une compréhension intime et ineffable de Dieu: "Une grande lumière de raison et de conviction se répandit dans mon intelligence, et sépara plus clairement le jour des ténèbres, les erreurs des vérités" ("le Saint Sépulcre").
Le poète est chez lui en Orient, non seulement parce que ses familiers l'accompagnent, mais surtout grâce à l'harmonie, propice au recueillement, instaurée entre sa sensibilité, son imaginaire et la réalité contemplée. De plus, ces terres restées proches des origines mythiques de la civilisation flattent son goût pour l'ordre naturel de la société et son idéologie patriarcale. Sa mission s'en trouve encore mieux définie: "Tant qu'un nouveau rayon ne descendra pas sur la ténébreuse humanité de nos temps, les lyres resteront muettes, et l'homme passera en silence entre deux abîmes de doute, sans avoir ni aimé, ni prié, ni chanté!" ("Jérusalem").
Le poème final chante le remords de Lamartine et le souvenir des heures heureuses: « Mais pourquoi m'entraîner vers ces scènes passées? / Laissons le vent gémir et le flot murmurer; / Revenez, revenez, ô mes tristes pensées! / Je veux rêver et non pleurer ! »
Trop souvent réduit à sa dimension autobiographique (d'ailleurs plus exacte dans la version qu'en donneront les Mémoires inédits, publiés en 1870), Graziella vaut surtout par la peinture toute lamartinienne des effets de l'amour sur un jeune homme et par la mise en scène d'une fantasmatique de la virginité. Dans un cadre naturel surchargé de souvenirs culturels, que domine une mythologie italienne revue par le romantisme, le texte s'évertue à évacuer autant que faire se peut la sexualité pour exalter la communion des âmes et l'innocence du rapport entre les amants : Graziella se comporte « comme une sœur qui sert son frère sans penser qu'il est un homme ».
Si «toujours au fond de [son] cœur» filtre une larme, le narrateur s'attache à démentir sa passion passée («Ce n'était pas le complet amour, ce n'en était en moi que l'ombre») mais avoue son trouble en de multiples occurrences devant cette fille du peuple s'offrant dans l'éclat de sa jeunesse. La référence à Paul et Virginie inscrit le texte dans une tradition et propose une rêverie sur la nature, les éléments, les choses autant que sur les beautés du peuple.
Le narrateur dispose alors les composantes d'un paradis, d'une utopie sentimentale et amoureuse, menacée par le sexe et la mort, lisible dans les violences météorologiques.
Cet ouvrage, l'un des grands succès de Lamartine (106 000 exemplaires vendus entre 1869 et 1895) fit l'objet d'une adaptation théâtrale _ un drame en un acte de Jules Barbier et Michel Carré, créé au théâtre du Gymnase le 20 octobre 1849 _, de trois opéras _ par Giuseppe Concone, livret de Marcelliano Marcello, 1856; par Antony Choudens, livret de Jules Barbier, 1877; par Jules Mazellier, livret d'Henri Cain et Raoul Gastambide, 1925 _, et de deux films _ dont l'un en 1926 comportait dans sa distribution Antonin Artaud dans le rôle de Cecco.
Geneviève, histoire d'une servante - Alphonse de Lamartine 1850 :
Récit d'Alphonse de Lamartine (1790-1869), publié à Paris en feuilleton dans le Conseiller du peuple en 1850, et en volume chez Wittersheim en 1851.Composée de 173 courts chapitres, Geneviève est assortie d'une Préface dans laquelle Lamartine définit son projet: écrire une «série de récits et de dialogues à l'usage du peuple des villes et des campagnes». Première de cette série, Geneviève est dédiée à Reine Garde, couturière-servante aixoise. Poète, elle avait rencontré le maître pour qui elle nourrissait une admiration idolâtre. Outre ses vers, elle lui avait relaté l'histoire pathétique et édifiante de sa vie.
L'histoire de Reine reflète la réalité de la lecture populaire en cette première moitié du XIXe siècle. Qu'a-t-elle pu lire en effet? Outre les Évangiles, l'Imitation de Jésus-Christ, elle ne peut citer que Robinson Crusoé, la Vie des saints, Paul et Virginie et... Télémaque. Mais le peuple est peu concerné par un traité d'éducation rédigé pour un prince ou les malheurs d'une fille noble. Frappé par le «bon sens supérieur à [l'] éducation» de cette fille du peuple, Lamartine souhaite la naissance d'un «génie populaire». La conjoncture semble favorable: alphabétisation généralisée depuis la loi Guizot de 1834, meilleure intégration du peuple à la nation, croissance économique: «La pensée et l'âme vont travailler double dans toutes les classes de la société. Les livres sont les outils de ce travail moral. Il vous faut des outils adaptés à votre main.»
Type de la domestique, Geneviève accomplit un trajet exemplaire, qu'elle raconte au narrateur. Issue d'une famille pauvre et pieuse, elle perd ses parents, se fiance au bon Cyprien, mais sacrifie son bonheur à Josette, sa jeune sœur, qu'elle élève. Celle-ci tombe amoureuse d'un militaire de passage, qui lui fait un enfant et l'épouse secrètement avant de mourir à la guerre. Geneviève remplace volontairement en prison la sage-femme qui avait mis le bébé à l'hospice. Elle doit «entrer en condition» à Lyon et ne connaît que l'affection des animaux. Elle quitte cette cruelle famille, regagne misérablement ses montagnes, retrouve les acteurs de son pauvre drame et devient servante de Cyprien, marié. Tous meurent, et Geneviève est recueillie par le nouveau prêtre, Jocelyn. Enfin, sous les yeux du narrateur, le village témoigne sa reconnaissance envers cette belle figure et l'adopte. Dans l'épilogue, elle retrouve Bastien, le fils de Josette, adopté à l'insu de Jean, son mari, par Luce, pour remplacer son propre enfant, mort à l'âge de deux mois. Ultime réconciliation de la loi et de la nature sous les auspices de la religion et des autorités, la famille se reconstitue, harmonieuse, dans la montagne enfin heureuse.
Une littérature de la modernité, liée aux progrès du savoir et de la démocratie; une littérature du et pour le peuple de Dieu: il s'agit d'élever l'âme, d'exalter les vertus morales, de «plaire au peuple honnête». Le genre s'impose alors: «de simples histoires vraies et pourtant intéressantes», qui «réfléchirai[en]t de préférence ses bons sentiments, ses travaux, ses dévouements et ses vertus, pour lui donner davantage l'estime de lui-même et l'aspiration à son perfectionnement moral et littéraire».
La Préface revient sur un projet lamartinien de journal des masses vulgarisant ad usum populi le savoir contemporain. Cette utopie, conquérir le nouveau monde social, reste à l'horizon du rapport romantique de l'écrivain à la société tel que le pense Lamartine, comme unification intellectuelle et idéologique de sa production. Geneviève s'inscrit dans son oeuvre comme amplification de Jocelyn et narre l'histoire «vraie» de la servante Marthe, l'héroïne du poème. Le récit met en scène un mélodrame larmoyant, pétri de bons sentiments, se référant constamment à la Providence et célébrant les leçons des malheurs jalonnant et façonnant une vie d'abnégation.
Harmonies poétiques et religieuses - Alphonse de Lamartine 1830 :
Recueil poétique d'Alphonse de Lamartine (1790-1869), publié à Paris chez Gosselin en 1830.Sa carrière de diplomate l'amenant à Florence en octobre 1825, Lamartine y commence une série de "poésies purement et seulement religieuses". Il les réunit d'abord en un album - Harmonies sacrées. 1826-1827 -, y ajoute de nouvelles pièces en 1828 et, de retour en France, l'enrichit de textes composés pour l'essentiel à Saint-Point entre l'automne 1828 et le printemps 1830. Ce recueil très travaillé, même s'il semble "sans liaison, sans suite, sans transition apparente", comporte 48 poèmes organisés en quatre livres (comprenant respectivement 11, 13, 11 et 13 poèmes). La cinquième édition
(1832) apporte quelques variantes, et l'ordre des poésies restera inchangé jusqu'à l'"Édition des souscripteurs" (chez l'auteur, 1860-1866). Seront alors ajoutés 17 textes en sus des "Révolutions" jointes en 1832, et déplacées trois poésies ("Retour", "Pour le premier jour de l'année", "Éternité de la nature") des livres III et IV au livre II.
Si les Méditations privilégiaient l'ode et l'élégie, les Harmonies furent d'abord conçues comme ensemble d'hymnes ou de "Psaumes modernes". L'épigraphe, empruntée au Psalmiste, confirme l'orientation générique: "Cantate Domino canticum novum". Ces chants nouveaux s'inscrivent dans une tradition et tentent de renouveler la célébration, l'adoration et l'expression de la joie du croyant. Tonalité heureuse jusqu'au retour d'Italie, que suivront deux autres inspirations: l'une douloureuse, marquée par l'angoisse ou la nostalgie, l'autre familière, empreinte de quotidienneté.
Une remarquable variété des mètres et des strophes anime ces poèmes. Aux habituels quatrains, sizains, dizains et aux strophes de plus grande ampleur (iso ou hétérométriques) s'ajoute le quintil ("Hymne à la nuit", I; "la Retraite", III; "Tristesse", IV) alternant parfois avec des strophes de sept vers ("Impressions du matin et du soir", II). Aux hexasyllabes, octosyllabes, alexandrins se joignent les mètres impairs: pentasyllabe ("Hymne à la nuit") ou heptasyllabe ("Pensée des morts", II).
L'hymne s'impose, figurant dans le titre de dix poèmes. Embrassant les heures, les âges, le bonheur chrétien et la souffrance humaine ("Hymne du matin", "...de la nuit", "...du soir dans les temples", "...de l'enfant à son réveil", livre I; "...à la douleur", II; "...au Christ", III; "...de la mort", "...de l'ange de la terre après la destruction du globe", IV), exhibant sa prédominance ("Encore un hymne", III), il se glisse dans le sous-titre ("Impressions du matin et du soir", II; "le Solitaire", IV) ou s'entoure de formes proches ("Invocation", "Bénédiction de Dieu [...]", "Une larme, ou Consolation", I; "Cantate", III; ou encore cantiques: "Éternité de la nature, brièveté de l'homme", "+ l'Esprit saint", IV).
Fidèle aux principes de la sensibilité romantique, Lamartine conçoit ces hymnes comme expression de l'effusion intime, qui "change en harmonie / le retentissement de ce monde mortel". Le cœur "résonne comme un temple où l'on chante sans fin" ("Invocation"). Truchement poétique, cette pensée qu'on laisse "flotter comme une mer où la lune est bercée" ("l'Infini dans les cieux", II), cette "Voix humaine", (IV), ce "souffle inspirateur" ("le Génie dans l'obscurité", III) traduisent "l'Idée de Dieu" (II), poussent "le Cri de l'âme" (III).
Reprise d'un thème des Méditations, l'insuffisance du langage, son incapacité à dire l'âme même, justifient l'entreprise poétique. S'approcher au plus près du "brûlant délire", c'est transcrire imparfaitement, dans l'essentielle déception d'une "langue embarrassée" ("Désir", II), des "concerts muets". "Invocation", poème programmatique, ouvre bien ces harmonies de l'"instrument divin" que clôt "A l'Esprit saint", ultime émanation d'un poète, nouveau David, dont la "harpe de Sion" vibre de l'"écho mourant des paroles de vie", proclamant sans cesse la "gloire" du "souffle créateur". Écrire la "langue inconnue" aux "sublimes accents" ("Poésie ou Paysage dans le golfe de Gênes", I), c'est écrire la transcendance.
S'élevant à la poésie cosmique ou inventoriant la simplicité d'ici-bas, les Harmonies contemplent dans la nature le "miroir éblouissant d'éternelle beauté" ("Poésie ou Paysage [...]"), lisent dans "le Chêne" (II) l'"intelligence divine", entendent dans les flots de "la Source dans les bois D***" (II) la "voix profonde" sublimée par la "prière aérienne" du "Rossignol" (IV). Idéalement, "l'Abbaye de Vallombreuse" (I) donne sa signification à son écrin montagnard des Apennins, en cette Italie, "veuve de nations", couverte de ruines, hommages "à celui qui survit" ("la Perte de l'Anio", II). Mais la nature, spectacle permanent de la divinité, ne recèle pas seule l'infini. La "Lampe du temple" (I) luit elle aussi de la lumière de "Jéhovah" (II).
"J'ai cherché le Dieu que j'adore / Partout où l'instinct m'a conduit" ("Pourquoi mon âme est-elle triste?", III): le poète structure le recueil en une quête, où ne manquent pas les étapes douloureuses. La tonalité élégiaque reprend alors ses droits. Tristesse, déréliction, mélancolie, approche de la mort, la gamme romantique de la déploration se déploie tout particulièrement dans "Novissima Verba" (IV). Si la mort de la mère ("le Tombeau d'une mère", II) ouvre à Dieu, celle d'une jeune Napolitaine ("le Premier Regret", seul poème baptisé "élégie", IV) laisse libre cours aux larmes du deuil ("Mon cœur est plein, je veux pleurer!"). "Milly ou la Terre natale" (III), humble patrie dont l'âme est la "mesure", compense cet accablement par une certitude sereine, celle de la réunion de tous les êtres chers. Le "Souvenir d'enfance" (I), thème lamartinien par excellence, alterne avec l'inspiration religieuse.
Douceur enchanteresse, délicieuse morosité, affections et ascèses morales: les beautés et les drames du quotidien offrent les charmes de l'intimité autant que ses douleurs, resserrement qui répond à l'expansion de l'environnement.
C'est dire l'unité profonde de l'univers et du moi, du souvenir et de l'expérience où fusionnent écriture et mysticisme. Salut à Xavier de Maistre ("le Retour", III), "Épître à Sainte-Beuve" (III), réponse à Victor Hugo ("la Retraite"): le dialogue avec les écrivains affirme hautement la mort des vers, "formés de syllabes muettes, / Si Dieu ne retentit dans la voix des poètes" ("Épître [...]").
Destiné "Aux chrétiens dans les temps d'épreuve" (I), le recueil, vaste prière, fervente oraison, parle de et à "l'Humanité" (II), évoquant même son combat pour la liberté ("Invocation pour les Grecs", IV), mais renvoie "l'Occident" (II) au "vaste Océan de l'être où tout va s'engloutir".
Histoire des Girondins - Alphonse de Lamartine 1847 :
Récit d'Alphonse de Lamartine (1790-1869), publié à Paris chez Furne et Coquebert en 1847.Sans être trompeur, le titre n'indique cependant pas que Lamartine rédige, en fait, un récit circonstancié des quarante mois les plus dramatiques de la décennie révolutionnaire. Soixante et un livres aux nombreux chapitres, trois mille pages: il faut cette dimension pour relater l'histoire tumultueuse, exaltante, épique et tragique de la Révolution française, d'avril 1791 à juillet 1794. L'entreprise illustre une conviction: l'Histoire est "la plus haute tragédie, le drame le plus difficile, le chef-d'oeuvre de l'intelligence, la poésie de la réalité".
Événements et "journées" scandent donc l'ouvrage, depuis la fuite de Louis XVI et son arrestation à Varennes le 21 juin 1791 jusqu'à la chute de Robespierre le 9 thermidor an II. Mais ils n'impriment pas à l'ordre idéologique du texte leur rigueur chronologique. Soucieux d'organiser son ouvrage selon une loi littéraire (empruntée tant au théâtre qu'au roman: unité d'action et captation d'intérêt), Lamartine suit une intrigue jusqu'à sa conclusion (ainsi la chute de la royauté jusqu'au 21 janvier 1793), ou accorde sa préférence à tel événement (le 10 août), au détriment de périodes plus longues. Scènes et tableaux (le célébrissime "dernier banquet des Girondins" en offrant l'exemple le plus achevé) diversifient l'écriture du récit.
L'orateur Lamartine, sensible aux éclats rhétoriques des grands personnages révolutionnaires, transcrit leurs discours. Au-delà des commentaires littéraires qu'il en propose, le copiste met en scène la parenté des doctrines exprimées avec les siennes propres. Sous l'historien transparaît le militant et l'homme d'idées. Poids des mots, choc des conceptions, la Révolution mobilise le langage: elle interpelle donc le poète, plus fidèle à son esprit que l'"annaliste".
Nombreux, circonstanciés, les portraits - parfois appuyés sur la physiognomonie - établissent une hiérarchie implicite des figures (au plus bas de l'échelle grouillent les sanguinaires). Principe d'explication redoublé par l'illustration (l'édition originale comportait trente-six portraits-vignettes), la description des personnages dramatise le récit : animés de sentiments visibles ou cachés, travaillés par les passions, soulevés, transfigurés par leur idéal, les personnages entrent dans une dynamique fictionnelle, qui extériorise un sens, celui d'une Histoire accouchant de la justice sociale.
A travers les individus s'énonce un jugement. L'Histoire possède une "conscience". D'où la nécessité de comprendre, même le plus horrible (ainsi les massacres de Septembre). D'où la mise en place d'une cohérence: certains hommes incarnent ("personnifient", aime à dire Lamartine) une époque ou une idée. La force des choses les détermine: "Les hommes naissent comme des personnifications instantanées des choses qui doivent se penser, se dire ou se faire" (livre LXI, chap. 17).
Cette loi historique porte un nom: ultime raison des événements, ordre de marche troublé - sans être contrarié - par les vicissitudes humaines, la Providence donne la morale de la Révolution. Étape décisive vers le "perfectionnement social", elle demeure lisible par les peuples comme mise en oeuvre de "dogmes" (liberté, charité et raison), certes souillés par le sang, mais vérité d'une modernité en gestation. La Révolution de 1848 frappe à la porte: la popularité de l'ouvrage s'explique aussi par ce contexte d'urgence.
Plus encore qu'une intervention dans le champ de l'Histoire - alors occupé par les grandes productions de Thiers ou Mignet -, parue au moment où Michelet sort les deux premiers tomes de sa propre Histoire de la Révolution française, l'Histoire des Girondins traduit le déchirement de Lamartine entre les impératifs d'une politique républicaine et l'idéal d'une démocratie généreuse et pacifique. D'où le statut ambigu de Robespierre, à la fois homme de la Terreur et incarnation de la nécessité révolutionnaire. La conclusion du livre illustre exemplairement cette inévitable contradiction. Le sang versé a révélé des vérités éternelles et "Dieu a mis ce prix à la germination et à l'éclosion de ses desseins sur l'homme" - reprise positive d'un thème maistrien. Mais on ne saurait "chercher à justifier l'échafaud par la patrie et les proscriptions par la liberté", réponse à l'école fataliste, car ce serait endurcir "l'âme du siècle par le sophisme de l'énergie révolutionnaire".
Puisque la Révolution se révèle "éclosion tardive et graduelle du christianisme dans la politique", Lamartine dans l'Histoire des Girondins amplifie les strophes enflammées de son ode sur les Révolutions (1832) qui annonçait: "Vos siècles page à page épellent l' Évangile: / Vous n'y lisiez qu'un mot, et vous en lirez mille; / Vos enfants plus hardis y liront plus avant!"
Jocelyn - Alphonse de Lamartine 1836 :
Poème d'Alphonse de Lamartine (1790-1869), publié à Paris chez Furne et Gosselin en 1836.Le projet lamartinien d'une épopée monumentale, les Visions, remonte à 1821. Un ange, séduit par la grâce d'une jeune fille, veut devenir homme, connaît les vicissitudes humaines (sujet traité dans la Chute d'un ange, 1839), est condamné à renaître jusqu'à la fin du monde, quand son énergie le détournera de l'amour terrestre pour réintégrer le royaume céleste par la souffrance et le sacrifice. Jocelyn serait l'un des derniers épisodes de cet ensemble, écrit de 1831 à 1836. En partie inspirée par l'histoire de l'abbé Dumont, ancien précepteur de Lamartine, les 9 000 vers (alexandrins et octosyllabes, avec quelques hexasyllabes dans les stances) se répartissent en neuf époques, présentées comme un "journal trouvé chez un curé de campagne" (Prologue).
En 1786, Jocelyn renonce pour sa soeur à l'héritage paternel et entre au séminaire. A ce sacrifice s'ajoutent les adieux aux lieux et êtres chéris (I). La Terreur l'oblige à fuir le séminaire envahi et à se réfugier dans la grotte alpestre des Aigles, d'où il peut contempler l'exaltante nature (II). Il sauve deux proscrits, un adolescent blessé, Laurence, et son père mourant qui le confie en expirant à Jocelyn (III). Au printemps, en pleine amitié heureuse, il découvre que Laurence est une jeune fille: un chaste amour aboutit à une promesse mutuelle de mariage (IV). L'évêque de Grenoble, condamné à mort, l'appelle et l'ordonne prêtre pour pouvoir se confesser. L'idylle brutalement arrêtée, Laurence sombre dans le désespoir et Jocelyn connaît la souffrance (V). Au bout de la douleur, il exerce son saint ministère à Valneige et y mène une vie de foi et de renoncement (VI). Nouvelle épreuve: la mort de sa mère qui le ramène au pays natal (VII). Il accompagne sa soeur à Paris, où il médite sur la caravane humaine. Il revoit par hasard Laurence, qui est malheureuse (VIII). De retour à Valneige, avec la seule affection de son chien, il se voue à son prochain. Appelé au chevet d'une voyageuse mourante, il reconnaît Laurence et l'ensevelit dans la grotte (IX). Il l'y rejoindra après avoir trouvé la mort en soignant les victimes d'une épidémie (Épilogue).
Si l'on relève les thèmes privilégiés du lyrisme lamartinien (enfance, amour de la figure maternelle, femme idéalisée, paysage), deux éléments dominent: la nature et le christianisme. L'harmonie unit rythme des saisons et mouvement des cours. Le cadre montagnard sublime, renouant avec les grands classiques de la littérature alpestre (Rousseau, Senancour), enchâsse la pureté et favorise l'effusion. La prière s'y mêle au dialogue lyrique.
Épreuves et sacrifice s'inscrivent dans l'ordre divin. Ils font de Jocelyn une sorte d'Imitation de Jésus-Christ fortement tirée vers le christianisme social dont les valeurs rédemptrices - Dieu, travail (agricole surtout dans le seul passage doté d'un titre: "les Laboureurs", véritables "Géorgiques modernes", IX), famille, éducation - sous-tendent idéologiquement ce poème, épopée de la
foi et roman de l'amour pur.
La vigne et la maison. Psalmodies de l' âme - Alphonse de Lamartine 1857 :
Poème d'Alphonse de Lamartine (1790-1869), publié dans le 15e entretien du Cours familier de littérature (en souscription par abonnement chez l'auteur) en 1857.Dernier poème publié du vivant de Lamartine (les Œuvres posthumes révéleront quelques rares vestiges), légèrement remanié en 1860-1861, il se présente sous la forme d'un «dialogue entre mon âme et moi». Un Avertissement précise au lecteur que ce chant fut écrit à Milly, où le poète s'était rendu pour assister aux vendanges pendant les derniers jours de l'automne 1857.
Au coucher du soleil, «Moi» console son «Ame», alourdie d'un «fardeau». Les vapeurs vespérales bercent le coeur meurtri d'une langueur sereine. La maison de pierre vêtue de lierre et de vigne offre ses doux souvenirs. L'âme s'installe dans son désespoir: devant elle, ne s'ouvrent que des cercueils.
Pourtant, elle se laisse émouvoir par ce «grand coeur de pierre». Les soeurs gazouillantes, la mère attentive reparaissent pour bientôt disparaître vers d'autres foyers ou la mort. L'hymne à la famille : «O mystère! ô coeur de la nature!» entraîne l'appel à Dieu: «Toi qui fis la mémoire, est-ce pour qu'on
oublie?» Au frémissement du deuil succède l'aspiration à la réunion des «âmes mortes». «Moi» reprend alors la parole et exhale «l'impression funèbre et douce»: une «main d'ange» fait d'un lange de son berceau un «sacré linceul».
«Je me couchai sur l'herbe, à l'ombre de la maison de mon père, en regardant les fenêtres fermées, et je pensai aux jours d'autrefois. Ce fut ainsi que ce chant me monta du coeur aux lèvres, et que j'en écrivis les strophes au crayon sur les marges d'un vieux Pétrarque»: l'on est tenté de lire dans cette ultime poésie un testament poétique et personnel. Évocation des épreuves subies et surmontées, des rêves avortés ou disparus, des deuils divers, le lyrisme s'y déploie, alimenté par la terre originelle. L'on pourrait même y voir un véritable florilège lamartinien: automne commençant, fin du jour, soir de la vie, sérénité du crépuscule, déploration mélancolique et nostalgie des souvenirs heureux, fuite du temps, présence de la mort, espérance en Dieu.
La forme dialoguée rend complices plus qu'il n'oppose l'âme douloureuse et le moi généreux, dans un redoublement intimiste. Dualité tonale et non déchirure, le couple poétique exprime l'ambivalence du moment et des impressions, la simplicité d'un bonheur passé et les tristesses de la déréliction. Une cohérence sentimentale unit paysage et maison à l'intériorité, selon une technique à l'efficacité éprouvée.
Le sous-titre _ «Psalmodies de l'âme» _ qui tire le poème vers le psaume, insiste à la fois sur l'élévation spirituelle, qui emporte toute la fin et surmonte la douleur, sur les modalités canoniques du genre et sur le chant.
Dramatisé à la manière des Nuits de Musset, le poème mêle, dans ses 316 vers, mètres et rythmes. Il organise alexandrins et octosyllabes du quatrain au quinzain, utilisant toutes les ressources de l'iso- et de l'hétérométrie, grâce à l'hexasyllabe combiné à l'alexandrin. La fluidité musicale, parfaitement maîtrisée, retrouve, en les sublimant encore, les accents des Méditations et des Harmonies.
Méditations poétiques et nouvelles méditations poétiques - Alphonse de Lamartine 1820 :
Recueils poétiques d'Alphonse de Lamartine (1790-1869), publiés à Paris chez Nicolle en 1820 (avec un «Avertissement de l'Éditeur» signé Eugène de Genoude, ami de Lamartine) et chez Urbain Canel en 1823.Comprenant dans l'édition originale vingt-quatre poèmes, le premier recueil s'augmente dès avril de deux pièces écrites en 1817 et 1819 ("la Retraite" et "le Génie"). Six autres éditions se succèdent jusqu'en 1822. En 1823, la neuvième (chez Gosselin) ajoute quatre pièces ("A Elvire", "Ode", "la Naissance du duc de Bordeaux" et "Philosophie", ces deux dernières seules ayant été écrites après l'originale). En 1849 enfin, Lamartine porte à quarante et un poèmes le total des premières Méditations dans l'édition des «souscripteurs».
Les Nouvelles Méditations, promises dès 1820, regroupent vingt-six poèmes de tous les genres et d'inégale qualité, écrits entre 1815 et 1823. S'ouvrant sur "l'Esprit de Dieu", elles s'achèvent avec des "Adieux à la poésie". La deuxième édition remanie le classement et censure le "Chant d'amour". A partir de 1825 (quatrième édition), l'auteur leur ajoute plusieurs pièces. De surcroît, le tome V de l'édition des «souscripteurs» contient seize poèmes intitulés Méditations poétiques inédites et parfois appelés Troisièmes Méditations. En outre, Lamartine y inclut des «Commentaires» sur la composition des poèmes, écrits à partir de 1844, souvent fautifs, pour en expliquer la genèse et les circonstances. Enfin, on pourrait légitimement adjoindre à cet ensemble "le Désert", sous-titré "Méditation philosophique" (1856).
Rapidement épuisée, l'édition du 13 mars 1820 est un véritable événement littéraire, le plus décisif au XIXe siècle depuis Atala: la première manifestation _ reconnue comme telle _ du romantisme français. «C'était une révélation», dira Sainte-Beuve. Une première lecture y suit les principales étapes de l'aventure sentimentale avec Mme Julie Charles rencontrée en septembre 1816 lors d'une cure thermale à Aix-les-Bains. Retrouvailles à Paris pendant l'hiver, vaine attente l'année suivante à Aix, mort de la jeune phtisique en décembre 1817 à Paris: il n'en faut pas plus pour relier l'inquiétude douloureuse avant la mort de l'aimée ("Invocation", "le Lac" et "l'Immortalité", 1817), la détresse suivant sa disparition ("l'Isolement", 1818), et la quête de l'apaisement ("le Soir", "le Souvenir", "le Vallon", "l'Automne", 1819). D'autres pièces ("la Foi", "la Semaine sainte à La Roche-Guyon", "le Chrétien mourant", "Dieu", "la Providence à l'Homme", "la Prière", "l'Homme") expriment un fervent sentiment religieux retrempé dans l'épreuve à partir de 1818.
Le commentaire autobiographique, légitimé par l'auteur lui-même, fausse cependant le recueil. Elvire vaut comme femme aimée et perdue, et le «je» exprime l'expérience commune. Les Méditations parlent pour toute une génération en retrouvant l'universalité classique. Les paysages participent de cette généralisation: le lac du Bourget se fond dans une inspiration lacustre _ ou lakiste _, le Craz dominant Milly ("l'Isolement") renvoie à l'élévation montagnarde.
Cette déploration élégiaque rencontre la sensibilité du temps. «Le public entendit une âme sans la voir [...]. Depuis J.-J. Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre et Chateaubriand, c'était le poète qu'il attendait», écrira Lamartine dans sa Préface de 1849. Diffus, infusés dans de multiples textes, les thèmes favoris de ces années post-impériales se trouvent concentrés dans un mince volume (cent dix-huit pages). La critique salue ces «poèmes [qui] plaisent aux âmes sensibles, par les accents de la passion, de la mélancolie et de la douleur» (le Journal des débats, 1er avril), et ce poète qui a «senti qu'il fallait rechercher l'inspiration à sa véritable source: dans les idées religieuses» (Journal de Paris, 13 mars). Lamartine a réussi son pari: faire descendre la poésie du Parnasse et donner à la Muse «les fibres même du cœur de l'homme, touchées et émues par les innombrables frissons de l'âme et de la nature» (Préface).
Peut-être l'originalité réside-t-elle d'abord dans l'usage du mot «méditation». Genoude définit le terme dans son Avertissement: «Ce sont les épanchements tendres et mélancoliques des sentiments et des pensées d'une âme qui s'abandonne à ses vagues inspirations. Quelques-unes s'élèvent à des sujets d'une grande hauteur, d'autres ne sont, pour ainsi dire, que des soupirs de l'âme.» La thématique, sans être vraiment originale, transcende ce relatif handicap en déployant toute son efficacité dans les pièces les plus justement célèbres. Quand dans "le Lac du B..." le poète, se promenant seul au bord du lac du Bourget, évoque le souvenir mélancolique d'une autre promenade accomplie l'année précédente avec Elvire et demande à ces eaux de conserver dans leur éternité l'éphémère trace de l'extase passée, il joue sur l'omniprésence obsessionnelle et douloureuse d'un temps destructeur opposé à une nature immuable et revivifiante, complice et témoin d'un amour ainsi sauvé.
"L'Isolement" peint un paysage romantique élégiaque où, malgré l'indifférence du poète accablé, se fait entendre l'appel de l'idéal et où se lisent les métaphores d'un envol vers la mort. "Le Vallon" redispose les éléments des «beaux lieux» lamartiniens. «Archétype de l'objet intime» (J.-P. Richard), le vallon, chargé de correspondances symboliques, accueille les élans de la sensibilité. "L'Automne" dévoile un hymne à la nature superbement expirante, en harmonie avec la déréliction du poète, alors qu'une autre femme (Mlle Birch) va lui apporter, après les tourments d'une passion malheureuse, l'apaisement de la vie conjugale. "L'Immortalité" se charge du spiritualisme lamartinien, liant amour humain et amour divin. L'élan lyrique se combine avec l'élévation religieuse, comme dans "l'Hymne au soleil" (1817?) où la nature ressuscitée est glorifiée au nom du Créateur.
A ces thèmes promis à la postérité comme à la dégradation et la fossilisation en poncifs, voire en clichés, les recueils en ajoutent de bien différents. Si "A Elvire", (neuvième édition 1818?), "le Soir", "Souvenir" (1818), "le Golfe de Baya" (1813), "Adieu" (1815) les modulent aussi, les autres pièces s'organisent autour du sentiment religieux. Au "Désespoir" (1818), expression du malheur, répond "la Providence à l'Homme" (1819), fervent acte de foi dans l'infinie bonté divine. "Ode" (1817), "l'Enthousiasme" (1819), "la Foi" (1818?) appellent à la restauration religieuse, et les positions contre-révolutionnaires de Lamartine apparaissent encore plus nettement dans "le Génie", ode dédiée à Bonald (1817). "Le Temple" (1817) et les poèmes de 1819, "l'Homme", ode dédiée à Byron, qui reproche au poète anglais son scepticisme orgueilleux et rappelle la loi chrétienne d'humilité et d'amour, "la Prière", où le poète se déclare interprète de la nature auprès de Dieu, "la Semaine-sainte à La Roche-Guyon", "le Chrétien mourant", "Dieu", "la Poésie sacrée" composent un ensemble embrassant l'ordre divin et rendant sensible au coeur comme à la raison le projet providentiel, auquel "les Chants lyriques de Saül" (1818) offrent une tonalité épique complémentaire. La poésie demeure acte de glorification et chant sublime, parole du coeur et effusion de l'âme. Le poète, s'il ne peut prétendre au bonheur, mérite donc sa "Gloire" (1818), même si "la Retraite" le tente.
Les poèmes ajoutés au fil des éditions, réitérant les mêmes thèmes (politiques dans l'"Ode sur la naissance du duc de Bordeaux", 1820, avec le célèbre «Il est né l'enfant du miracle»; religieux dans "la Charité", "le Pasteur et le Pêcheur", "Philosophie", 1821), repassant par des lieux semblables ("le Lis du golfe de Santa Restituta", 1842; "Ferrare", 1844; "Ressouvenir du lac Léman", 1833), n'apportent guère d'élément nouveau, si ce n'est des pièces s'attachant sans grande originalité à lire la divinité dans les humbles trésors de la nature ("les Fleurs", 1837; "les Oiseaux", 1842), à associer ceux-ci à l'amour ("le Coquillage au bord de la mer", 1842), à la mélancolie ("les Pavots", 1847) ou aux deux ("A une fleur séchée dans un album", 1827?).
Si, dans les Nouvelles Méditations, "le Passé", "Ischia", "le Poète mourant", "Tristesse", "la Branche d'amandier", "Adieux à la mer", "Apparition" reviennent sur ces rivages désolés verser des larmes mélancoliques, "Sapho", "les Étoiles", "A El..." combinent la plainte avec la célébration du plaisir, que "Élégie" et "Chant d'amour" évoquent plus précisément, alors que "la Solitude" chante un hymne à la gloire de la nature. "Le Passé", "la Sagesse", "l'Esprit de Dieu", "Consolation", "l'Ange", "l'Apparition de l'ombre de Samuel à Saül", "le Crucifix", "Méditation improvisée à la Grande Chartreuse", "A un curé de village", "A Aix de V..." déclinent sur tous les tons (élégiaque, épique, dramatique) les aspirations spirituelles et religieuses de Lamartine. "Les Préludes", d'une facture composite, où mètres et strophes déploient les effets de leur diversité, embrassent un parcours poétique menant de l'inspiration sollicitée, et apparaissant sous la forme d'un génie, à la perte de celle-ci, en passant par un développement amoureux élégiaque, la tentation de l'action _ jusqu'au combat épique dans l'arène sociale _, et le retour à la quiétude bucolique. "Le Papillon" concentre métaphoriquement le «destin enchanté» de celui qui retourne «au ciel chercher la volupté». Si "la Liberté ou Une nuit à Rome" esquisse une inspiration politico-libérale, les cent quatre-vingts vers de l'ode à "Bonaparte", écrite après la mort de l'Empereur, s'élèvent aux hauteurs épiques pour condamner à la fin le «tyran».
Commençant par l'évocation du tombeau de Sainte-Hélène, elle chante la grandeur orgueilleuse du conquérant, puis sa déchéance, son expiation de l'assassinat du duc d'Enghien (légitimisme oblige), et renvoie l'Empereur au jugement des hommes et de Dieu. Enfin, les "Adieux à la poésie", qui clôturaient initialement le recueil, tracent le bilan d'un rapport poétique au monde, installent l'amertume du créateur désabusé, mais affirment l'éternité des vers issus d'une lyre que le poète naufragé abandonne, tel Orphée, sur les flots marins.
Quant aux Méditations inédites, elles exploitent le fonds Graziella avec "Adieu à Graziella" (1813?) et "Salut à l'île d'Ischia" (1842), ajoutent des pièces au monument spiritualiste ("Prière de l'indigent", 1846; "Sur une page", 1839?; "les Fleurs sur l'autel", 1846), et mettent en scène le poète dans son siècle ("Sur un don...", 1841), méditatif ("le Lézard", 1846; "l'Idéal", 1827; "Sur l'ingratitude des peuples", 1827), aimablement amoureux ("la Pervenche"; s.d.; "A Laurence", 1840; "les Esprits des fleurs ", 1847), séduit ("A une jeune fille...", 1847), élégiaque ("la Fenêtre de la maison paternelle", 1840?); elles incluent enfin une pièce de circonstance ("Sultan, le cheval arabe", 1838) et surtout "A M. de Musset, en réponse à ses vers" (1840). S'adressant avec condescendance à «l'enfant aux blonds cheveux», Lamartine prenant la pose du poète serein explique le monde et les lois de l'inspiration poétique («La vie est un mystère, et non pas un délire»), revient sur les errements de sa jeunesse sauvée par une «chaste apparition qui [l]e força d'aimer» et, en un plaidoyer pro domo, célèbre les joies de la purification. "Le Désert ou l'Immatérialité de Dieu", en onze sections, cherche dans «la respiration nocturne de la plaine» à saisir le mystère divin. La foi se ressource en cette expérience de la solitude silencieuse dans l'Orient désert, où la contemplation ouvre sur la révélation mystique: «Dieu n'est qu'une idée!» (voir le Voyage en Orient).
«Le plus grand musicien de la langue française» (Gautier) reste tributaire d'une poétique néoclassique affinée par les auteurs du XVIIIe siècle finissant (J.-B. Rousseau, Parny) et les poètes impériaux (Chênedollé, Millevoye).
Respectueux des formes canoniques (ode, élégie et, dans les Nouvelles Méditations, un fragment épique: "l'Ange"), Lamartine, «étranglé par la forme vieille» (Rimbaud), n'ose guère plus que les traditionnels rejets, contre-rejets et enjambements. Pas de dislocation romantique du vers chez cet enchanteur fort sage: «Classique pour l'expression, romantique dans la pensée, à mon avis, c'est ce qu'il faut être», affirme-t-il en 1823. Tout au plus joue-t-il en virtuose de la structure strophique.
Thèmes, genres, mètres: rien ne transgresse les codes dominants. La musicalité du vers tient lieu de révolution poétique. Privilégiant la sonorité du mot, le vers vise à la régularité. La cadence, très travaillée, combine la juxtaposition et le glissement. Cette «harmonie éolienne» (Sainte-Beuve) recourt à quelques procédés constants : flou artistique des mots, choisis pour leur valeur tonale, vibration du vers volontiers énumératif, chargé de périphrases, de formules oratoires, d'images souvent empruntées à l'arsenal rhétorique, d'épithètes (l'adjectivité romantique dénoncée par Musset dans les Lettres de Dupuis et Cotonet), rythme idéal du 3/3/3/3 fondé sur la symétrie, les parallélismes et le balancement.
L'évocation: tel reste le maître mot de la poétique lamartinienne, voie royale d'accès à ce qui constitue pour beaucoup l'essence de la poésie. Une ineffable émotion, un chant intérieur, les vagues et délicieux méandres du sentiment, prenant les couleurs de la mélancolie et de la nostalgie, des drames et des blessures privés: ce romantisme, souvent dénoncé de Musset à Flaubert, ne procède pas d'un travail sur le langage (même si Lamartine affirme que «à la fois sentiment et sensation, esprit et matière», la langue poétique est la seule «complète»), mais incite pourtant à la communion en touchant au plus près l'indicible. Dans sa seconde Préface Des destinées de la poésie (1849, déjà publiée en 1834), Lamartine définit de nouveau son entreprise. La poésie est «l'incarnation de ce que l'homme a de plus intime dans le cœur, et de plus divin dans la pensée, de ce que la nature visible a de plus magnifique dans les images et de plus mélodieux dans les sons»: la messe est dite.
Raphaël. Pages de la vingtième année - Alphonse de Lamartine 1849 :
Récit autobiographique d'Alphonse de Lamartine (1790-1869), publié à Paris chez Permain en 1849.Comme Graziella, Raphaël faisait initialement partie des Confidences. Probablement écrit en 1847, il relate, sous le masque transparent du nom d'emprunt, les amours de Lamartine et de Julie Charles (l'Elvire des Méditations).
Organisé en un Prologue et 106 sections, l'ouvrage se donne comme manuscrit confié à un ami par un être d'une grande beauté (d'où son surnom, évocation d'un portrait du peintre enfant), doué d'une «sensibilité si exquise qu'elle en était presque maladive en lui» (Prologue).
C'est l'automne en Savoie. Raphaël rencontre une jeune et belle étrangère, toute de «langueur indécise entre celle de la souffrance et celle de la passion» (6), convalescente et mariée. Il la sauve d'un naufrage sur le lac du Bourget, et l'amour naît. Premières confidences, inaccessible vertu: tout appelle le récit d'un destin, celui d'une jeune femme de vingt-huit ans marquée par la mort. Créole, orpheline, épousée par un «vieillard illustre», un vrai père, Julie a vécu, idolâtrée, au milieu de vieilles gloires, dans un «froid bonheur». Sa plus grande félicité serait de trouver ce «frère de l'âme», figure idéale qui l'a «désenchantée d'avance de tous les êtres réels» (19).
C'est alors l'évocation lyrique de cinq semaines idylliques. Mais Julie doit quitter ce lieu enchanteur. Raphaël se rend à Paris, en passant par les Charmettes (42-44), et la retrouve dans la capitale. Il fréquente assidûment le couple, tout en étudiant et en écrivant dans le dénuement. Après un hiver «délicieux», la ruine de ses parents contraint Raphaël à proposer ses poésies à un éditeur, qui les refuse. Malade, il doit quitter Julie et Paris. Elle promet de le rejoindre en Savoie. Raphaël y reçoit un courrier lui apprenant la fin de Julie, avec ses dernières lettres, toutes d'adoration.
Élevée par un «mari philosophe», Julie ne croit qu'au «Dieu invisible qui a écrit son symbole dans la nature, sa loi dans nos instincts, sa morale dans notre raison» (21), et proclame son amour, refusant par avance toute dégradation. Si cet amour doit demeurer «pensée pure», c'est aussi que la jouissance risque de tuer la jeune femme. Dès lors le récit sera celui d'une double conversion: celle de Raphaël aux délices de l'amour platonique, celle de Julie à la révélation d'un Dieu sensible («Il y a un Dieu; il y a un éternel amour dont le nôtre n'est qu'une goutte», 88).
Célébration d'une communion («C'était un transvasement continu et murmurant de l'âme de l'un dans celle de l'autre», 77), où l'automne se transfigure en un «printemps ressuscité de l'hiver» (27), description de l'enchanteresse Savoie, lieu mélancolique par excellence, déploiement des charmes lacustres, hymne à la nature oeuvre de Dieu, le texte se doit de compenser l'extase des âmes par le drame de la séparation, et par celui de la mort: celle-ci, souhaitée, risquée sur le lac au point culminant de la félicité (35), hante le récit, avant de le clore. En guise d'ultime plénitude offerte à Raphaël, se dessinera désormais sur le paysage savoyard l'empreinte d'une ombre chère. D'ailleurs, les dernières heures passées ensemble n'avaient-elles pas été endeuillées par la mort d'une hirondelle et la détresse de Julie? Cette tragique prémonition explique un détail du Prologue: l'affection de Raphaël pour ses «derniers amis», les oiseaux.
Recueillements poétiques - Alphonse de Lamartine 1839 :
Recueil poétique d'Alphonse de Lamartine (1790-1869), publié à Paris chez Gosselin en 1839.Premier recueil lyrique de l'auteur depuis 1830, il rassemble des textes écrits entre 1834 et 1838, toute une production ayant été utilisée pour les Œuvres publiées en 1832 et 1834. Six réimpressions se succèdent jusqu'à la reprise dans l'édition des «souscripteurs», avec quelques variantes et l'adjonction de trois poésies, chez Firmin Didot (1849-1850).
Sans unité, les Recueillements comportent des pièces fort inégales. Des vers d'album aux remerciements adressés aux auteurs pour l'envoi de leurs oeuvres, du "Cantique sur la mort de la duchesse de Broglie" aux "Toasts aux Gallois et Bretons réunis à Abergavenny" (1838), en passant par la première version de l'Épilogue de Jocelyn, un fragment du Saül et des poèmes dédiés à diverses
jeunes filles, les Recueillements exhibent leur facture composite. Si, sur un total de vingt-sept, l'on peut négliger aujourd'hui bien des poésies de circonstance, quelques poèmes de 1837 et de 1838 importent pour comprendre l'évolution d'une pensée.
L'"Ode à M. Félix Guillemardet sur sa maladie" (1837) développe le thème de la pitié humaine. Au lyrisme mystique des Harmonies poétiques et religieuses répond le lyrisme social du poème "Utopie" (1837, postérieur à l'"Ode"). Les trente et une stances de "A M. le comte de Virieu" (1837), évoquant un ami commun disparu, confient à leurs octosyllabes la traditionnelle tâche consolatrice. L'"Épître à M. Adolphe Thomas" (1838) revient sur la question de la mission du poète. Lamartine, en profonde sympathie avec l'humanité, continue d'en éprouver pour les êtres et les lieux chéris. Ainsi "la Cloche de village" (1838) revient-elle sur les terres de l'enfance. Enfin, le "Cantique sur un rayon de soleil" (1838) aurait pu trouver sa place dans les Harmonies.
Ces pièces rassemblent la plupart des thèmes et des préoccupations que Lamartine développe depuis plusieurs années, tout en laissant libre cours à une inspiration cosmique. C'est le poète social qui prend désormais le pas. L'oeuvre semble être passée de l'élégie ou de l'hymne à la prédication.
Adressée à son «frère», l'"Ode à M. Félix Guillemardet" exprime le remords du poète pour l'attendrissement égoïste dont il a bercé ses émois personnels: «Le temps n'est plus où j'écoutais mon âme / Se plaindre et soupirer comme une faible femme.» La personnalité dolente qui «remplissait la nature» a laissé place au chantre proclamant: «La douleur s'est faite homme en moi pour cette foule.» Les sizains _ cinq alexandrins et un hexasyllabe _ disent l'unité fraternelle du genre humain. L'ami malade bénéficie d'une sollicitude émue, profonde sympathie pour l'Autre. Cette pitié serait simple sensiblerie si elle ne s'articulait sur une prise de conscience, celle du «pénible travail de sa lente croissance / Par qui sous le soleil grandit l'esprit humain.»
Adressé à un jeune poète qui finissait chaque strophe d'une ode envoyée à Lamartine par ce vers : «Enfant des mers, ne vois-tu rien venir?», "Utopie" lui répond, inaugurant une première série de dix septains (six alexandrins, un octosyllabe) par: «Frère! ce que je vois, oserai-je le dire ?» Expression d'un idéalisme généreux («Élargissez, mortels, vos âmes rétrécies!»), le poème proclame ensuite sa foi dans le génie humain et dans les temps nouveaux où règnera l'Évangile (treize dizains en octosyllabes): «Un seul culte enchaîne le monde, / Que vivifie un seul amour.» Enfin, un retour aux septains insiste tout au long de onze strophes sur les dangers de l'impatience et les vertus d'une résolution calme et confiante, force tranquille du progrès: «Eh! que sert de courir dans la marche sans terme?» En effet, «Dieu saura bien sans nous accomplir sa pensée».
Hymne et fervent appel à l'amitié, déploration, écho des souvenirs, recueillement funèbre, "A M. de Virieu" commence par un triste constat («Nos rangs s'éclaircissent») et s'achève sur cette définition digne des Méditations: «La vie est un morne silence / Où le coeur appelle toujours!»
Si la fraternité, l'humanitarisme animent les Recueillements d'un souffle prophétique et unissent, à la lumière des vertus théologales (foi, espérance et charité), la méditation sur la politique et les événements privés, l'"Épitre à M. Adolphe Thomas" expose le plus clairement la mission du poète dans la Cité moderne: «Notre voix qui se perd dans la grande harmonie / Va retentir pourtant à l'oreille infinie! / Eh! quoi! n'est-ce donc rien que d'avoir en passant / Jeté son humble strophe au concert incessant?» Elle définit le rapport intime entre le poète et la Création: «Ces saints ravissements devant l'oeuvre de Dieu, / Qui font pour le poète un temple de tout lieu.»
Le registre intime trouve sa place dans le recueil. Le son de la cloche est «une palpitation du cœur». Correspondance entre la volée de la cloche et l'âme du poète, "la Cloche de village" chante le deuil en vingt sizains et un envoi. Quant au "Cantique sur un rayon de soleil", qui monte progressivement du tableau le plus familier («Je suis seul dans la prairie / Assis au bord du ruisseau») jusqu'à Dieu qui appelle tout à lui et redescend de la divinité aux choses puis au coeur («Oh! gloire à toi qui ruisselles / De tes soleils à la fleur!»), il déploie au long de ses trente-quatre quintils en heptasyllabes le symbolisme lamartinien dans toute sa splendeur. Il démontre ainsi, s'il en était besoin, l'unité profonde qui organise la création poétique du chantre romantique.
Toussaint Louverture - Alphonse de Lamartine 1850 :
Drame en cinq actes et en vers d'Alphonse de Lamartine (1790-1869), créé à Paris au théâtre de la Porte-Saint-Martin le 6 avril 1850, et publié à Paris chez Michel Lévy la même année.Issu d'un projet conçu en 1839, les Noirs, achevé en 1840 sous le titre Haïti ou les Noirs, en partie égaré, réécrit avec publication de deux fragments en 1843 (les Esclaves), acheté par l'éditeur Michel Lévy, joué par Frédérick Lemaître, éreinté par la critique, mieux accueilli par le public, Toussaint Louverture relate la tragique confrontation entre la France consulaire et la République haïtienne en 1802.
Au son de la Marseillaise noire et au pied de la tour où travaille Toussaint, on annonce l'arrivée des vaisseaux de Bonaparte (Acte I). Dans la tour, Toussaint évoque son destin, exprime ses doutes, revoit le père Antoine qui jadis «baptis[a] en [lui] la liberté», se résout à se battre («Je n'en puis plus douter. La guerre ou l'esclavage / Je couvrirai de fer et de feu ce rivage»). Pour galvaniser son peuple, il feint d'avoir prévu les premières défaites et explique à sa nièce Adrienne, fille abandonnée par son père, un Blanc, qu'il veut disparaître pour préparer la revanche et vérifier sa prophétie: «Haïti sera noir, c'est moi qui vous le dis» (Acte II). Dans leur état-major, les Français de Leclerc amènent avec eux les enfants que Toussaint avait autrefois confiés à la France. Pauline Bonaparte, l'épouse de Leclerc, prend un pauvre aveugle sous sa protection: elle ignore qu'il s'agit en fait de Toussaint. Leclerc veut l'utiliser pour faire parvenir des propositions de paix au chef noir. Moïse, général haïtien, trahit et propose aux Français de se venger du «tyran». Toussaint se découvre, le tue et s'enfuit (Acte III).
L'on passe ensuite dans la prison où est enfermée Adrienne. Entièrement familial, cet acte montre les retrouvailles d'Adrienne et des fils de Toussaint, dont Albert, qui l'aime. Celui-ci maudit «ceux qui la profanèrent» et qu'il admirait jusqu'alors. Salvador, le père indigne, fanatique de Bonaparte («Le consul, comme Dieu, veut que tout soit à lui»), croit pouvoir échapper à sa faute en faisant arrêter les enfants qui ont réussi à briser les fers de leur «sœur» et en confiant Adrienne au père Antoine, qui, en fait, la libère (Acte IV). Dans le camp de Toussaint, ses fils lui apportent les conditions des Français: «Entre les Blancs et nous complète égalité, / Leur drapeau seulement couvrant la liberté.» Albert a engagé sa parole. Déchiré, au moment de choisir son père contre la France, il est emmené par les soldats de Salvador. Toussaint, au comble de la douleur, cède («Vous triomphez, ô Blancs!... j'avais un cœur !»). Trahissant leur promesse, les Français attaquent à ce moment. Adrienne meurt en levant la bannière d'Haïti, Toussaint la ramasse et appelle aux armes (Acte V).
Citée à deux reprises dans son Histoire de l'art dramatique par Théophile Gautier évoquant d'abord la crise du drame romantique après la reprise de Ruy Blas en 1842 («Lamartine garde en portefeuille son Toussaint Louverture»), puis la représentation de 1850 («On se serait cru aux beaux jours de Marion Delorme, de Lucrèce Borgia et d'Antony»), la pièce de Lamartine illustre quelques-unes des préoccupations majeures du poète. Il s'agit pour lui d'atteindre un large public populaire, et l'écriture théâtrale exprime la même ambition que sa production romanesque (voir Geneviève).
Le choix du sujet est exemplaire. Il combine le rappel du message révolutionnaire humaniste, la mise en scène d'une Révolution devenue gardienne de l'ordre établi, l'affliction des humbles et des exclus, les contradictions de l'Histoire qui voit s'affronter les défenseurs des droits de l'homme et ceux-là mêmes qui devraient en bénéficier. Le poème dramatique appartient en propre à la tentative lamartinienne d'unir poésie, politique et action. Figure héroïque, Toussaint Louverture parle pour une humanité souffrante en quête de dignité.
Hymne à la liberté des Noirs («Debout, enfants, debout, le Noir enfin est homme»), et à la famille («Je suis père avant tout», dit Toussaint), le drame historique utilise les ressources du mélodrame (trahisons, déchirements pathétiques, émotions exacerbées...). Dénonçant racisme et loi de l'intérêt, la pièce vibre d'accents hugoliens pour évoquer les «abîmes» de l'esclave, ce monstre dont l'âme est une «nuit». Pièce qui met en scène une rupture tragique de l'Histoire, où l'Homme est arrêté sur le chemin de l'accomplissement démocratique, Toussaint Louverture se veut oeuvre missionnaire, fragment d'une épopée humanitaro-religieuse, et préparant un avenir providentiel.
Voyage en Orient. Souvenirs, Impressions, Pensées et Paysages - Alphonse de Lamartine 1835 :
Récit d'Alphonse de Lamartine (1790-1869), publié à Paris chez Gosselin en 1835.
S'inscrivant dans un genre abondamment représenté au XIXe siècle, de Chateaubriand à Loti, le texte de Lamartine relate un itinéraire spirituel entrepris après les échecs électoraux de 1831 et 1832. Ayant quitté Mâcon pour Marseille le 14 juin 1832, le poète s'embarque en juillet sur un brick nolisé avec un équipage de quinze hommes, un entourage nombreux et une abondante bibliothèque. Arrivé à Beyrouth le 6 septembre, il rend visite dans la montagne à lady Stanhope et à l'émir Béchir, part pour la Palestine le 1er octobre, ne peut rester qu'une journée (le 20) à Jérusalem en raison de la peste, revient à Beyrouth le 5 novembre. Julia, sa petite fille, dont on espérait que le climat soignerait la tuberculose, meurt le 7 décembre. En mars 1833, il se rend via Baalbek à Damas, et, en avril, aux Cèdres. + Jaffa, du 22 au 26 avril, alors que sa femme s'en va à Jérusalem, Lamartine écrit "Gethsémani ou la Mort de Julia", poignant poème en vingt-quatre huitains de sept alexandrins et un octosyllabe, qui figurera dans le Voyage. Par Rhodes et Smyrne, tous regagnent Constantinople, où l'on séjourne du 7 juin au 25 juillet, avant de revenir par Andrinople, Belgrade, Vienne et Strasbourg.
Lamartine retournera en Turquie en juin 1850 pour tenter l'exploitation d'un domaine agricole dans la région de Smyrne, mais ne pourra jamais réunir les fonds nécessaires. Un Nouveau Voyage en Orient en résultera (en feuilleton dans les Foyers du peuple, puis en volume en 1851-1853).
Le séjour levantin tient une place capitale dans la vie de Lamartine. Il le ruine, mais le confirme dans l'idée qu'il se fait de sa mission spirituelle. Enfin élu à son retour, il développe ses idées politiques et sociales, orientées par ses conceptions messianiques. Il se fera même l'avocat du soutien français aux maronites et d'une politique anti-anglaise en Syrie, exposant ses vues dans le "Résumé politique" qui clôt le livre. + Lamartine revient sans doute le mérite d'avoir "lancé" le Grand Liban, pour en faire l'un des grands mythes français aux conséquences toujours actuelles.
Publié sous la contrainte financière, l'ouvrage se conforme aux lois du genre - descriptions, impressions, réflexions... (le sous-titre l'indique d'ailleurs clairement) -, mais témoigne aussi d'une attention constante aux autres, aux spécificités culturelles, aux formes de la sociabilité. Ouvrage humaniste autant que pittoresque ou spirituel, le Voyage se distingue de ses prédécesseurs (en particulier l'Itinéraire de Paris à Jérusalem de Chateaubriand) en ce qu'il met en forme une authentique découverte d'un Orient enfin vu au-delà des références culturelles obligées. Là réside le principal intérêt de ce texte trop ignoré. Malgré son ampleur (plus de mille pages), nonobstant l'inévitable pose du poète romantique voyageur contemplant la mer, le désert ("le Désert ou l'Immatérialité de Dieu", publié dans le Cours familier de littérature en 1856, fut sans doute composé à cette époque), la Terre sainte..., et déployant méditations ou vues cosmiques, le Voyage combine, avec bonheur souvent, vision poétique et observation.
Quoique présenté comme un simple ensemble de notes (dans l'Avertissement), le livre apparaît à la fois comme journal d'une traversée, relation de la vie de voyage, récit de rencontres, album de panoramas, pèlerinage au berceau du christianisme - rendu tragique par la mort de la petite Julia -, tableau ethnographique, historique, politique et culturel des contrées visitées : tous tableaux représentés selon les codes d'une imagerie romantique et composant une esthétique où ruines, exotisme, couleurs et lumière se trouvent naturellement réunis. La description prend en charge lieux, gens et coutumes, rendant compte des "images enchantées" qu'ils suscitent.
Quête de l'origine, où thèmes familiaux et affectifs se mêlent aux effluves spirituels, le voyage aboutit au silence devant le mystère divin: "Le silence est une belle poésie dans certains moments. L'esprit l'entend et Dieu la comprend: c'est assez" ("Gethsémani"), après avoir permis d'accéder à une compréhension intime et ineffable de Dieu: "Une grande lumière de raison et de conviction se répandit dans mon intelligence, et sépara plus clairement le jour des ténèbres, les erreurs des vérités" ("le Saint Sépulcre").
Le poète est chez lui en Orient, non seulement parce que ses familiers l'accompagnent, mais surtout grâce à l'harmonie, propice au recueillement, instaurée entre sa sensibilité, son imaginaire et la réalité contemplée. De plus, ces terres restées proches des origines mythiques de la civilisation flattent son goût pour l'ordre naturel de la société et son idéologie patriarcale. Sa mission s'en trouve encore mieux définie: "Tant qu'un nouveau rayon ne descendra pas sur la ténébreuse humanité de nos temps, les lyres resteront muettes, et l'homme passera en silence entre deux abîmes de doute, sans avoir ni aimé, ni prié, ni chanté!" ("Jérusalem").
Lorsque j'étais enfant,
RépondreSupprimerJ'allais de temps en temps,
Prendre sur une étagère,
Un livre de mon père.
Avec lui, je partais en voyage,
C'était mon livre d'images.
Depuis, il a suivi,
Les détours de ma vie,
Il a traversé les années.
Sa plume m'a inspiré,
Lamartine est resté,
Mon poète préféré.