Un récit magique emplit d'amour et de rêve. Les allusions à toutes ces destinations me donnent cette envie d'être dans ces contrées qui me sont inconnues.
Le résumé :
Après une absence de trois ans, Will revient en France pour le mariage de son frère. Le moment est venu, pour lui, de faire face aux conséquences de ses choix.
Retour à la ( vraie ) vie
Écrit par F Frules
L’hôtesse de l’air me salue avec un « Au revoir » au moment où je sors de l’avion. Je n’ai plus entendu cette langue, la mienne, depuis une escale au Canada, près d’un an auparavant. Le fond de l’air est froid quand je pose le pied sur le tarmac de l’aéroport. Je suis de retour dans ce pays que j’ai quitté si brusquement il y a près de trois ans.
Où qu’il se pose, mon regard rencontre des panneaux, des publicités pour des produits dont j’ignorais l’existence, tous écrits dans ma langue maternelle et que j’ai pourtant du mal à décrypter. J’esquisse un sourire en me souvenant que ma principale motivation de partir était de découvrir le monde dans sa diversité et maintenant, c’est mon propre pays que je dois apprendre à redécouvrir.
Le président n’est plus le même, de nouvelles figures politiques se sont imposées, des personnalités sont décédées, d’autres ont pris leur place, des choses terribles se sont produites dans le monde et même si j’ai appris tout cela d’une façon ou d’une autre, je ne me sentais jamais concerné, enfermé dans ma bulle, tentant d’absorber la culture de chaque pays visité, de me fondre en elles pour ne faire plus qu’un et finalement, parvenir à la comprendre.
Je me sens en total décalage avec les autres passagers, un autre état d’esprit relayé par des souvenirs vestimentaires de mes voyages : bagues togolaises, collier tibétain, vieux jean râpé acheté en Espagne et chemise noire froissée portant un écusson de San Francisco pour mieux cacher un accroc fait lors d’une tentative d’assister gratuitement à un match des 49ers.
Mon bagage tarde à se montrer sur la piste déroulante alors qu’un par un, les autres passagers s’en vont. Tout le monde parle ma langue autour de moi et le choc culturel que j’attends depuis trois ans me percute enfin. J’augmente le volume de mon baladeur numérique pour faire taire par la musique ces voix que je parviens à comprendre et qui me rappellent que je ne suis plus unique.
C’est la différence majeure entre moi dans un pays étranger et moi ici. A l’étranger, je suis quelqu’un parmi tant d’autres alors qu’ici, je suis quelqu’un comme tant d’autres. La différence sémantique n’est peut-être pas énorme mais elle existe bel et bien à mes yeux.
Le sac à dos marron beige qui m’a accompagné et ne m’a jamais fait défaut au cours de ces années apparaît enfin. Je cours presque pour le prendre, sans le perdre des yeux une seule seconde. Je ne suis pas matérialiste en temps normal mais dans ce nouveau monde, je m’accroche aux visages connus dont mon sac fait partie. Je m’en saisis et le remet à sa place favorite, c’est-à-dire bien calé sur mon dos.
Je suis le flot des personnes qui sortent du terminal comme un troupeau de moutons du Kazakhstan et mon cœur accélère. Il est là, à m’attendre, bien habillé dans son costume trois pièces, comme sur les images de businessman que l’on voit dans les films. Je ne sais pas qui est le plus étonné des deux, et pendant un instant, nous ne faisons rien d’autre que se regarder, entourés par la foule dont la vie continue. Il fait un pas, sourit et finalement, nous nous prenons dans les bras l’un de l’autre.
- Cela fait du bien de te revoir, grand frère, me dit-il dans l’oreille.
Je ne réponds pas mais n’en pense pas moins. Il est devenu un adulte alors que je ressemble plus à un hippie de 28 ans déphasé de son époque. Le petit frère est devenu l’homme de la famille. Celui présent en tous cas.
- Allez, viens, ma voiture est garée par ici.
Je le suis, perdu dans la civilisation dantesque comme je l’étais dans la forêt équatoriale à ceci près que les sons sont différents. La cacophonie des klaxons, des moteurs est telle que je replace les écouteurs sur mes oreilles, le temps d’arriver à la voiture.
- Qui d’autre sait que je suis là ? je demande finalement après que nous ayons quitté le parking en direction du centre de la ville.
- Juste Carla et moi. Elle est d’ailleurs ravie de te revoir.
- Je n’arrive pas à croire que vous deux allez vous marier. Avant que je ne parte, vous n’étiez que des amis.
- Tu sais, Will, ce n’est pas quelque chose que l’on peut prévoir et encore moins s’y préparer. Je suis content que tu sois là pour le mariage, ajoute-t-il. Tu comptes rester après ?
Il me demande cela d’un ton neutre, mais je sens que cela a plus d’importance pour lui qu’il ne veut bien l’admettre.
- Je ne sais pas encore.
La ville se déroule sous mes yeux, rendue plus terrifiante par le ciel chargé de nuages gris menaçants. Je suis bien loin du Cap Nord et de son ciel azur sur fond de soleil de minuit. Non, je m’étais promis de ne pas comparer mes deux mondes, sinon je pressens que je ne resterai pas longtemps. Ici, ce sont les gens que je connais qui font la différence ; là-bas, ce sont les paysages et les personnes que je rencontre.
- Comment vont les parents ?
- Plutôt bien. Je crois que maman ne vérifie plus que deux fois par jour la boîte aux lettres dans l’espoir d’avoir de tes nouvelles. Et je ne parle même pas de sa boîte mail. Tu sais Will, même si je peux comprendre pourquoi tu as fait cela, tu n’avais pas besoin de couper totalement les ponts, me dit-il sur un ton de reproche.
- C’est justement cela que vous n’avez jamais compris.
- Alors, explique-moi ! Explique-nous.
Comment pourrais-je expliquer quelque chose qui ne s’explique pas, mais qui se vit ? Cette sensation d’être seul au monde, de ne compter que sur soi-même sans dépendre de personne, d’enfin exister par et pour soi-même, sans se soucier de l’existence des autres qui compliquent tout.
- Tu ne le feras pas, n’est-ce pas ? continue Tony. Ce n’est pas grave. L’important est que tu sois là pour le mariage. Tu seras une surprise pour toute la famille.
- Je ne pense pas que ce soit une bonne idée d’ailleurs. C’est ton jour et je crains que certaines personnes n’aient pas apprécié la façon dont je suis parti.
- Tu veux dire du jour au lendemain, en plaquant tout et en laissant comme seule note un « Je reviendrai » tout droit sorti de Terminator ?
Je souris avec lui.
- Oui, je n’étais pas très inspiré ce jour-là.
- Ne crains rien pour le mariage. Ces personnes sont de ta famille, Will, ce ne sont pas tes ennemis. Ils seront heureux de te revoir. Et si certains ne le sont pas, qu’ils aillent se faire voir. Tu es mon invité surprise.
Nous restons dans un silence voulu. Je sens qu’il aimerait me demander de lui raconter mes voyages, mais le trajet en voiture ne suffira pas, c’est une longue, très longue histoire.
- Comment va-t-elle ? dis-je finalement.
C’est l’une des seules questions qui me taraudent vraiment depuis trois ans.
- Bien. Enfin, je suppose. Nous ne sommes pas beaucoup restés en contact, tu sais. C’était ta copine, pas la mienne. Mais Carla m’a dit qu’elle avait trouvé quelqu’un de bien, depuis un an et demi maintenant.
- Qui est l’heureux élu ?
- Je n’en sais rien du tout et Carla non plus. Elle a appris cela par l’amie d’une amie d’une amie, enfin, tu vois ce que je veux dire. Le réseau de renseignements féminin...
Nous n’avons plus parlé jusqu’à ce qu’on arrive à l’appartement où vivait mon frère avec sa future femme. Ils me donnèrent le sofa du bureau où je pus enfin poser mon barda. Assis dans cette pièce proprette et bien décorée, je restai plongée dans mes pensées. Ceci ressemblait davantage à une étape de plus dans mon voyage qu’à un réel retour, étape plus luxueuse cependant.
- Tout va bien ? me demande Carla après avoir frappé à la porte.
J’hoche de la tête en la regardant. C’est donc elle, ma future belle-sœur et je ne la connais presque pas, juste de vagues souvenirs d’une époque aujourd’hui passée. Elle reste à traîner près de la porte, veut me demander quelque chose, mais je sens qu’elle n’ose pas, comme Tony dans la voiture.
- Oui ?
- Je me demandais où tu étais passé ces trois années. Tu as beaucoup voyagé ? Tu as été où ?
- Un peu partout. Asie, Afrique, Amérique, Europe, en long, en large et en travers.
- Tu as dû voir des choses magnifiques...
Je ne réponds pas, trop occupé à fouiller dans mon sac à la recherche de quelque chose. J’en ressors une dizaine de CD portant les noms des villes, des pays, des continents où je suis allé.
- Les photos parlent d’elles même, dis-je en les lui donnant. Pour les commentaires, les anecdotes et les histoires, il faudra attendre un peu.
Elle s’apprête à partir quand j’ajoute :
- Je suis content pour toi et Tony. Vous faites un beau couple et j’espère le meilleur pour vous deux.
Elle sourit doucement, les yeux perdus quelque part dans la pièce ou dans son esprit, comme si elle savait déjà tout cela, comme un merveilleux secret qu’elle garde.
- Est-ce que tu comptes aller la voir ? me demande-t-elle brusquement.
- Je ne sais pas, je n’y ai pas vraiment pensé.
Je mens bien sûr, cette idée m’obsède depuis que je sais que je dois rentrer.
- Ce n’est peut-être pas important pour toi, Will, mais je crois qu’elle a besoin de savoir pourquoi tu es parti comme cela. C’est ce que j’éprouverais si mon copain partait comme tu l’as fait.
Je déteste quand on me fait remarquer que j’ai agi comme un salaud, surtout quand j’en suis conscient. Je suis donc allé la voir. J’ai monté les marches de l’immeuble, marches que je ne connaissais que trop bien, jusqu’à cet instant précis, ma main comme paralysée à deux centimètres du bouton de la sonnette.
J’ai failli me faire estropier par un alligator dans les bayous australiens, cru mourir cent fois dans le bus péruvien miteux qui fonçait sur les routes escarpées menant au Machu Picchu, affronté les moustiques géants de la Laponie, mais ceci est vraiment terrifiant. Les conséquences de mes choix.
Je suis à deux doigts de me dégonfler et de tourner les talons quand la partie brave de mon inconscient, dans un sursaut d’orgueil, me force à sonner. Une fois, puis deux. Quelqu’un bouge à l’intérieur de l’appartement, j’ai envie de me sauver mais mes jambes refusent de m’obéir. J’ai du mal à respirer, mes yeux cherchent la sortie la plus proche tandis que mon cerveau est sur le point de passer la main, pour en revenir à un état plus instinctif qui me crierait de fuir.
La porte s’ouvre et elle apparaît. Son sourire disparaît en un éclair, ses yeux sombres s’agrandissent un peu plus. Elle a les cheveux plus longs que dans mon souvenir mais est toujours aussi belle.
- Salut Julia, dis-je simplement.
Je la sens tiraillée entre l’envie de refermer la porte et celle de me gifler. C’est finalement la seconde qu’elle choisit.
- Je n’en attendais pas moins, ajouté-je en me frottant la joue.
Elle me gifle à nouveau, deux, trois fois avant que je ne l’arrête moi-même en lui prenant les bras.
- Je crois que c’est bon là, non Julia ?
- Oh non, Will, je suis encore loin du compte, dit-elle en tentant de se dégager de mon étreinte.
- C’est justement pour cela que je suis ici, pour le solder.
- Tu arrives trois ans trop tard pour ça.
- Alors, tu devras te contenter d’explications dans ce cas, lui dis-je en lui lâchant les bras.
Elle me gifle une nouvelle fois et s’arrête.
- Tu arrives ou tu pars ? demande-t-elle en jetant un regard sur mon épaule.
Mon sac marron est là, posé sur mes dos sans que je ne me souvienne l’avoir pris. Une des mauvaises habitudes qu’il me faudra perdre si je décide de rester.
- J’arrive. Je suis en ville depuis ce matin.
- Oui, bien sûr. Le mariage de Tony. Apparemment, il n’était pas si difficile de te contacter, où que tu sois.
- Je suis désolé de ne pas avoir répondu à tes mails, mais...
- Pas de réponses, pas de nouvelles pendant 3 ans Will ! me coupe-t-elle. Même tes parents te pensaient mort quelque part dans une ruelle de Shanghai ou sur le mont Kilimandjaro qui sait ?
- En fait, pour la Kilimandjaro, tous les guides étaient déjà pris et Shanghai est beaucoup moins dangereuse qu’on veut bien le croire.
- Ce n’est pas drôle, Will. Tout ce que je voulais, c’était un signe, une lettre, n’importe quoi qui dise que tu étais au moins vivant ou en bonne santé.
- Je t’ai écrit des dizaines de lettres.
- Je ne les ai jamais reçues.
- C’est parce que je ne les ai jamais envoyées. Je trouvais que ce n’était pas le bon moyen de t’expliquer les raisons de mon départ.
- C’est là que tu fais une erreur, Will. Tu n’as rien eu besoin d’expliquer. Depuis qu’on se connaît, je sais que tu es un solitaire, incapable de vivre en couple, pas d’une façon traditionnelle tout du moins. Entre nous, c’était voué à l’échec avant même que cela ne commence mais j’espérais juste pouvoir te faire changer. J’ai échoué mais peut-être qu’une autre réussira. Je l’espère pour toi.
Ce ne sont pas les retrouvailles auxquelles je m’attendais.
- Je...
Je bafouille, voilà ce que je fais.
- Tu t’attendais à quoi au juste ? A ce que je fonde en larmes et te pardonne en te suppliant de revenir ? Tu as le sens du mélodrame, je te l’accorde et si cela peut te consoler, tu m’as fait plus pleurer que tous les autres réunis. Mais ce n’est pas ce que j’attends d’un compagnon.
Qu’est-ce que je peux répondre à cela ? Je ne sais pas quoi faire et encore moins quoi dire. Une fois de plus, elle est venue à mon secours.
- Je vais donc maintenant fermer cette porte en considérant que nous sommes quittes. Si tu restes dans le coin, je serai contente de te revoir à l’occasion, même si je doute que tu sois revenue pour rester. J’apprécie le courage qu’il t’a fallu pour venir jusqu’ici aujourd’hui, mais il n’excuse qu’à peine la lâcheté dont tu as fait preuve il y a trois ans. Quelque soit cette chose que tu cherches de par le monde et que je n’ai pu t’apporter, je te souhaite de la trouver. Au revoir Will.
Elle a fait ce qu’elle a dit. Elle a refermé la porte sur nous. Le mariage de Tony et Carla fut une réussite, ils se sont jurés un amour éternel en étant persuadé de cela. Comme Tony l’avait prévu, mon arrivé fut une surprise, mes parents ont failli s’évanouir. J’ai subi les sermons de quelques personnes pour ce qui leur semblait être un caprice d’adolescent attardé et inconscient. J’ai répondu patiemment aux questions sur les lieux que j’avais vus et le soir même, j’ai repris mon sac de l’appartement vide, direction l’aéroport.
J’ai laissé une note et posté par la même occasion les 132 lettres que j’ai écrites à Julia. Je me suis juré de rester plus en contact avec mes amis et ma famille. Des nouvelles de temps en temps ne me tueraient pas et rassureraient les personnes qui m’aiment.
A l’heure où j’écris ces lignes, je suis attablé à un café dans un des halls de l’aéroport. Il y a pas mal de monde ce soir et mon sac à dos posé par terre a été bousculé plusieurs fois. Une femme est assise à ma table, en train de siroter un thé. Brune, elle est habillée façon « bohèmindienne » comme j’appelle ce style, avec un foulard orange dans les cheveux et des vêtements légers mais amples aux couleurs kaki. Elle m’a vu écrire et m’a demandé ce que je faisais.
- C’est mon journal de voyage, lui expliqué-je.
- Vous voyagez beaucoup ? dit-elle avec une étincelle dans les yeux.
Je connais cette étincelle, c’est celle que je vois dans les yeux des personnes que je rencontre, celle que je vois dans mes yeux à chaque fois que je regarde dans le miroir.
- On peut dire cela, oui.
- Et où allez-vous ce soir ?
- Je ne sais pas encore, j’attends une révélation pour ainsi dire. Vous allez où vous ?
- Vancouver, Canada pour commencer. Après je ne sais pas. Je ferai comme vous, j’attendrai une révélation.
Elle me sourit en disant cela. Pourquoi dois-je éprouver une attirance de toutes les femmes qui me sourient ou me montrent un tant soit peu d’intérêt ? Vancouver, hein ? Pourquoi pas...
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