Résumés et analyses des principales oeuvres du philosophe, sémiologue français Roland Barthes.
Roland Barthes, né le 12 novembre 1915 à Cherbourg et mort le 26 mars 1980 à Paris, est un philosophe, critique littéraire et sémiologue français, directeur d'études à l'École pratique des hautes études et professeur au Collège de France. En savoir plus sur : Wikipédia
Les principales oeuvres :
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Mythologies, Roland Barthes 1957 :
Oeuvre de Roland Barthes (1915-1980). Par une série de cinquante-trois
articles portant sur des thèmes d'actualité, Barthes tente de décrypter la
place et le rôle du mythe dans notre société. Partant du principe que "le
mythe est un langage" (hypothèse démontrée en deuxième partie), il analyse les
faits divers de notre quotidien comme autant de signes d'un réel mystifié.
Ainsi en est-il des spectacles et des publicités, où les valeurs morales
transparaissent toujours à travers les slogans ou les gestes: tel détergent
"tue la saleté" (mythe purificateur), tel gangster tue d'un simple signe
-mouvement de tête ou de doigt au complice qui exécute-, mythe de l'
efficacité pure, où rien n'est à dire car tout est acte accompli. De la même
façon, le portrait d'un acteur, l'image d'une célébrité (comme l'abbé Pierre)
peuvent exprimer le mythe du héros, mi-dieu mi-homme... Cette liste n'est pas
exhaustive: toute expression du réel, tout objet du discours peut constituer
une faslsification, une mystification dont Barthes nous dévoile l'origine: l'
idéologie petite-bourgeoise. la critique d'une pseudo-évidence
("ce-qui-va-de-soi") se double d'un pamphlet social cynique contre les
représentants de l' Ordre: écrivains, critiques, hommes de lois,
aristocrates... Tous veulent préserver leurs croyances en une pseudo-nature
révélatrice -par ces objets quotidiens- de vérités morales. C'est Charlot,
aveugle et mystifié, aliéné aux mains de ses maîtres, qui fournit le meilleur
exemple de l' abus de cet ordre moral, mais qui donne en même temps la
solution sociale: l'acte de la révolution. Au-delà de son attaque virulente
contre les petits-bourgeois, par laquelle il s'inscrit dans une continuité de
pensée avec Marx, puis Sartre, Barthes veut rhéabiliter le réel en le rendant
compréhensible, épuré des mythes qui le surchargent inutilement. Cette
thématique du mythe rappelle l'utilisation que Platon faisait des allégories
(celle de la caverne, celle des âmes ailées...). Loin de s'opposer, ils ont
tous deux la même perspective: rendre compte d'un langage exprimant le monde
réel. C'est le sens de cette sémiologie du mythe, analyse linguistique -à
partir des travaux de Saussure-, qui forme la deuxième partie de
"Mythologies". L'un de ses derniers textes, "Fragments d'un discours amoureux"
(1977), reprendra cette question de la difficile adéquation du langage à la
réalité, parce que les signes sont soit inintelligibles, soit mystifiants.
L'empire des signes, Roland Barthes 1970 :
En étudiant dans cet ouvrage la notion de "signe" au Japon, Barthes se
démarque indéniablement des philosophes contemporains. Mais son intérêt n'est
pas ethnologique. Il s'agit d'une recherche dans un pays où le concept de
signe est infiniment éloigné de la vision occidentale. L' Occident est en
effet "sémiocratique", écrit Barthes, c'est-à-dire que le signe y est
rationalisé, érigé en norme absolue, et possède une sorte de pouvoir occulte.
Le Japon, au contraire, est libre de cette "dictature du signe". Ce dernier
n'est pas rationalisé au sens où l' occidental l'entend. On constate là-bas
une certaine légèreté du signe, qui ne se réfère à aucun dieu, à aucune
vérité, à aucune morale. Celui-ci se déploie en effet dans un espace pur,
affranchi des notions de "signifiant" et de "signifié" qui constituent notre
civilisation. L'auteur analyse les multiples manifestations du signe, en
prenant des exemples d'une grande simplicité: le signe dans la ville, dans le
jardin, dans le magasin, etc. Cet essai, agréablement illustré dans l'édition
de poche, montre l'originalité et la subtilité de la pensée de Barthes.
L'aventure sémiologique, Roland Barthes 1985 :
Textes de recherches sémiologiques. Réunissant les "Eléments de sémiologie",
les "Domaines" où peut s'appliquer cette discipline et les "Analyses" sous
l'angle de la mise à l'épreuve de la méthode, véritable somme de l'activité
-de 1963 à 1973- du chercheur et de l'enseignant que fut Barthes, l'ouvrage
est la mise au jour du désir lié à la connaissance. Retraçant l'aventure
sémiologique, l'auteur cerne sa montée depuis 1956, jusqu'au moment de la
scientificité acquise, de 1957 à 1963, suivi du "Moment du Texte" qui est une
structuration, un travail, un volume de traces: le signifiant. Les nettes
distinctions langue/parole, signifié/signifiant, syntagme/système,
dénotation/connotation ont, observe l'auteur, délimité la "recherche
sémiologique". Le "Séminaire sur l'ancienne rhétorique", notes de Barthes
retranscrites par François Wahl, invoque un texte qui n'existe pas.
Fragments d'un discours amoureux, Roland Barthes 1977 :
Essai de Roland Barthes (1915-1980), publié à Paris aux Éditions du Seuil en
1977.
Déplorant l'"atroce réduction que le langage (et la science psychanalytique)
impose à nos affects", l'auteur se propose de rendre au discours amoureux ses
lettres de noblesse. Ce protocole d'écriture est organisé à partir de
"figures": débats ou illustrations émaillés de citations et d'extraits de
conversation avec des amis, ces figures sont celles éprouvées au cours d'une
liaison. De la plénitude ("Adorable!", "Fête", "Je-t-aime") à l'accablement
("Catastrophe", "Langueur", "Suicide"), le lecteur est invité à parcourir tout
le champ des sentiments amoureux. Situées dans un temps indéterminé, tant il
est vrai qu'au cours du drame de l'"énamoration" ("Drame") le monde extérieur
semble irréel ("le Monde sidéré"), ces figures sont également énoncées dans un
espace théâtral au sein duquel l'amoureux est toujours ramené à lui-même: "Ce
que je lis dans ce malheur, c'est qu'il a lieu sans moi." Le rêve d'union
totale avec l'autre n'est qu'une utopie ("Image, imitation: je fais le plus de
choses possible comme l'autre", "Habit bleu et Gilet jaune"); l'amour, qui
fait perdre le sens des proportions, s'éprouve essentiellement sur le mode
souffrant ("Écorché") ou sadique: "Il n'y a aucune bienveillance dans
l'écriture: je veux à tout prix te donner ce qui t'étouffe" ("Dédicace").
Cette accumulation de points de vue, qui s'attache à des gestes furtifs ("Une
façon d'étendre les doigts en fumant", "le Corps de l'autre"), à des objets
partiels ("La coupe d'un ongle, une dent un peu cassée en biseau", "Adorable")
et réhabilite en même temps la valeur du code romantique ("Pleurer"), s'en
remet finalement à un dur constat: "Vouloir écrire l'amour, c'est affronter le
gâchis du langage" ("Inexprimable amour").
L'interrogation des Fragments d'un discours amoureux porte essentiellement sur
la forme. La force du fragment selon Barthes est de se prêter à la fois à la
"variation" et à l'"agencement". Antilinéaires, ces Fragments évitent, par
leur forme simple et flexible, le diktat de l'unité et de la cohérence, et
s'en remettent toujours au caractère des intermittences du coeur et des
humeurs du désir. Le présent de l'indicatif se substitue au passé simple qui,
lui, supposerait un monde achevé, stable et débarrassé de l'épaisseur complexe
du réel. La substance de ces Fragments est toute romanesque en effet, et cette
mise en écriture de figures amoureuses aurait pu faire le tissu d'un roman:
les deux acteurs du "drame" - le sujet amoureux et l'"objet d'amour" - sont
pris dans un discours à peine couvert par la référence littéraire (Werther, la
Gradiva, Parsifal). Ce discours est toujours monologue: le "parler amoureux",
fondé sur l'expression de la "loquèle" ("forme emphatique du parler amoureux",
voir "Loquèle"), n'est jamais un dialogue véritable. Ce discours est bien
plutôt l'histoire du sujet lui-même, toujours aux prises avec l'instabilité de
ses jugements qui peut le conduire jusqu'à la folie, et irrémédiablement
soumis au rythme capricieux des mutations de son écriture. De qui s'agit-il au
travers de l'"amoureux"? Si toute "figure" de son discours est précédée d'une
solide affirmation, d'un "argument" qui est instrument de distanciation -
manière astucieuse de rappeler que le "je" qui écrit se tient toujours à
distance respectueuse du "je" amoureux -, un savant brouillage chronologique
et biographique décrit sa situation d'écriture comme celle d'un romancier.
Cette ruse d'énonciation permet à l'auteur de ne jamais divulguer l'identité
de cette énigmatique première personne du singulier. Ce livre du "moi"
apparaît dès lors comme un espace de simulation. Le "je" n'est-il pas, comme
le confie l'auteur, "l'organe suprême de la méconnaissance"? Car il s'agit
avant tout, pour cet amoureux qui s'avance masqué, de déjouer tous les pièges
de l'interprétation: "Je ne croirai plus à l'interprétation" devient son
credo. L'amoureux n'est plus qu'un "empire de signes" ("Rien que des signes,
une activité éperdue de paroles"), mais l'"objet d'amour" sort libéré de cette
emprise du sens. Car c'est aux inflexions de la voix que l'amoureux
s'intéresse désormais, marquant ainsi la nature proprement musicale et
théâtrale de ce que Barthes nomme la "scène amoureuse". Ces fragments lyriques
d'inspiration plus grave (à la manière des stances du XVIe siècle) apparentent
en effet le drame intime à un spectacle, la pratique intellectuelle n'en sera
que mieux assimilée à une pratique érotique: "C'est comme si j'avais des mots
en guise de doigts." L'écriture, dans cette perspective ludique, est célébrée
comme une activité gratuite, dans la tradition de Gide ou de Montaigne. Ce
refus du tragique entraîne le lecteur sur le terrain de la complicité:
l'Adresse au lecteur autorise à considérer ces Fragments comme une structure
d'accueil où chacun peut aller et venir, dont chacun peut disposer à son gré,
selon le mode de lecture qui lui convient (attitude qui correspond très
exactement à la définition que Barthes donne du "discours" ou discursus:
"action de courir çà et là, allées et venues, démarches, intrigues"). Comme
dans les dialogues de Platon, le penseur, l'écrivain, le lecteur, le
professeur et l'amant se rejoignent ici en une sorte de livre idéal.
Œuvres complètes, Tome 1 (1942-1965), Roland Barthes 1993 :
Tous ceux qui ont connu Roland Barthes (mort en 1980), écouté ses cours, suivi
son séminaire, lu ses textes ou butiné ses innombrables articles se réjouiront
infiniment de voir paraître le recueil de la totalité de ses écrits rassemblés
par Eric Marty. Celui-ci, dans sa préface, explique le choix de l'ordre
chronologique (que certains contestent) et convainc. Il n'ignore point
l'émotion intellectuelle qu'il procure à ceux qui vont pouvoir enfin (re)lire
non seulement les textes majeurs de Barthes (Mythologies, le Degré zéro de
l'écriture, Eléments de sémiologie, Essais critiques), mais aussi ses
pertinentes réflexions sur le théatre politique ("Pouvoirs de la tragédie
antique", "Pour une définition d'un théâtre populaire", "Brecht et notre
temps") et découvrir ses articles précurseurs et désaliénants sur le pouvoir
de l'image et la communication visuelle ("l'Information visuelle", "le Message
publicitaire". "Rhétorique de l'image").
On sait que sur l'articulation "sémiologie et cinéma" (lire p. 1 456) sa
réflexion fut poursuivie, et brillamment enrichie, par Christian Metz,
fondateur de la sémiologie filmique, tragiquement disparu en septembre
dernier.
Seuil, Paris, 1993, 1 634 pages, 350 F.
Théorie du texte. Roland Barthes 1995 :
Bibliographie :
- R. BARTHES, S/Z , Paris, 1970 ; Le Plaisir du texte , Paris, 1973 ; L'Aventure sémiologique , Seuil, Paris, 1985
- J. BAUDRILLARD, Pour une critique de l'économie politique du signe , Paris, 1972
- J. DERRIDA, De la grammatologie , Paris, 1967
- J. KRISTEVA, Scmeiytikc. Recherches pour une sémanalyse , Paris, 1969 ; Le Texte du roman , La Haye-Paris, 1970
- J. KRISTEVA & J.-C. COQUET, " Sémanalyse ", in Semiotica , no 4, 1972
- J.-L. SCHEFER, Scénographie d'un tableau , Paris, 1968
- P. SOLLERS, Logiques , Paris, 1968
- T. TODOROV, " Texte ", in O. Ducrot et T. Todorov, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage , Paris, 1972
- F. WAHL, " Texte ", ibid. , Appendice.
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