Cette rubrique liste les principales œuvres du poète français du 19ᵉ siècle Paul Verlaine.
Paul Verlaine est un écrivain et poète français du XIXᵉ siècle, né à Metz le 30 mars 1844 et mort à Paris le 8 janvier 1896. Il s'essaie à la poésie et publie son premier recueil, Poèmes saturniens en 1866, à 22 ans. En savoir plus sur Wikipédia.
Amour, Paul Verlaine 1888 :
Recueil lyrique de Paul Verlaine (1844-1896), publié en 1888 et, avec des
additions, en 1892.
Après avoir connu les désillusions du plaisir et des
ivresses charnelles, le poète sent que le retour à la foi représente vraiment
pour lui le chemin du salut et, comme il l'a déjà fait dans "Sagesse", il tend
à louer dans la religion l'unique bien de l'humanité. D'une âme humble et
repentante, il chante la béatitude que procure la prière ("Un crucifix"),
l'abandon au sentiment ineffable du divin ("Sur un reliquaire qu'on lui avait
dérobé"): son amour de la religion s'attache particulièrement à mettre en
évidence ce triomphe de l'ordre sur l'erreur que le poète prétend y trouver.
Cette attitude, qui dans l'ensemble apparaît plutôt froide et intellectuelle,
est loin d'exprimer combien, chez Verlaine il y a l' angoisse d'une vie
désordonnée; elle ne révèle que peu de chose de cette inquiétude du pécheur
qui cheche à se révolter contre le mal et la passion. Les sentiments de
l'artiste s'épanchent avec la douceur d'un regret, dans un soupir de créature
blessée ("Délicatesse") ou encore avec une admiration extatique pour les
beautés de la nature et pour le mystère de la vie ("Paysages"). Une partie
tristement célèbre est constituée par l'élégie qui termine le livre: "Lucien
Létinois". Dédiée par Verlaine à la mémoire d'un jeune homme, précocement
disparu, qui fut son élève, elle exprime avec discrétion et non sans un
caractère morbide une affectation qui, sous le voile d'une inspiration
mystique, apparaît comme une véritable passion, d'une sensualité assez
trouble. Ces sentiments ne sont pas sans rappeler son aventure avec Rimbaud et
s'enveloppent d'amour paternel, dans le souvenir même de son fils Georges,
bien que la ruine de sa famille fût depuis longtemps consommée: ceci montre
une fois de plus jusqu'à quel point l'âme du poète connaissait de sentiments
contradictoires; dans le moment même où il aspirait à la paix religieuse, sa
vie était dominée par le vice et la passion, entièrement dépourvue de toute
volonté de rédemption. L'oeuvre est parmi les moins réussies du poète, à cause
de ce rappel constant aux aventures de sa vie -matière qu'il n'est point
parvenu à élever au royaume céleste de la poésie; toutefois elle reste
intéressante en ce qu'elle est un document sur l'existence troublée d'un
"poète maudit".
Chansons pour elle, Paul Verlaine 1891 :
Recueil de poèmes érotiques de Paul Verlaine (1844-1896) paru en 1891,
c'est-à-dire à une époque où le poète, complètement déchu, malade, traînait
une existence misérable de clochard sur les pavés de Paris. "Elle", une
certaine Esther, de son vrai nom Philomène Boudin, avait largement dépassé la
quarantaine; c'était plus ou moins une prostituée ("Qu'importe ton passé, ma
belle, et qu'importe parbleu! Le mien!"). D'un âpreté sans merci, elle
exploita le pauvre Lélian que d'autre part elle trompait effrontément ("Sans
doute tu ne t'aimes pas comme je t'aime. / Je sais combien tu me trompas
jusqu'à l'extrême"). Verlaine finit cependant par la quitter, pour une autre
de ses pareilles (Eugénie Krantz, dite Mouton), qui fut la dernière compagne
de sa vie. D'un point de vue biographique, "Chansons pour elle" marque une des
dernières étapes de la déchéance de Verlaine, et l'abandon de ses tentatives
de rédemption religieuse (il publiera cependant encore "Liturgies intimes".)
D'un point de vue littéraire, l'intérêt du recueil est assez mince; le poète
ne fait que reprendre des thèmes qu'il avait traités avec plus de bonheur dans
"Parallèlement".
Les fêtes galantes, Paul Verlaine 1869 :
Recueil poétique de Paul Verlaine (1844-1896), publié à Paris chez Lemerre en
1869. Certains poèmes avaient été auparavant publiés dans diverses revues:
"Clair de lune", sous le titre de "Fêtes galantes", et "Mandoline", sous le
titre de "Trumeau", dans la Gazette rimée du 20 février 1867; "A la
promenade", "Dans la grotte", "les Ingénus", "A Clymène", "En sourdine",
"Colloque sentimental" dans l'Artiste, le 1er juillet 1868, sous le titre
collectif de "Nouvelles Fêtes galantes"; "Cortège" et "l'Amour par terre" dans
la même revue, en mars 1869, sous le titre "Poésie".
Verlaine compose les Fêtes galantes dans les années 1866-1868, c'est-à-dire
juste après la publication des Poèmes saturniens. Tout comme le précédent, ce
recueil, édité à compte d'auteur, n'éveille aucun écho. Rimbaud le lit
toutefois à Charleville et écrit à Georges Izambard, le 25 août 1870: "J'ai
les Fêtes galantes [...]. C'est fort bizarre, très drôle; mais vraiment, c'est
adorable."
Le recueil comprend vingt-deux poèmes de formes diverses mais tous divisés en
strophes identiques, à l'exception de "l'Allée" (constitué d'un ensemble
continu de quatorze alexandrins aux rimes croisées) et de "Lettre" (poème aux
rimes plates composé de cinq strophes d'inégale longueur). Les titres de
certains textes suggèrent, de même que celui du recueil, une atmosphère
festive, par le biais d'activités, d'objets ou de personnages associés au
divertissement: "Pantomime", "Cortège", "Fantoche", "Mandoline", "Colombine".
Dans l'univers des Fêtes galantes règnent l'oisiveté et les plaisirs: "A la
promenade", "En patinant", "En bateau", "les Indolents". Un "paysage choisi"
("Clair de lune"), soigneusement policé et artistement agencé - voir aussi
"l'Allée", "Dans la grotte" - sert de cadre à ces "fêtes", "galantes" dans la
mesure où - des titres tels que "Cythère", "l'Amour par terre" ou "Colloque
sentimental" en témoignent - elles sont dominées par les jeux du désir et la
quête du plaisir amoureux.
Inspiré des peintures de Watteau et de Fragonard, l'univers des Fêtes galantes
rappelle, tant par ses personnages que par ses décors, celui d'un XVIIIe
siècle sensuel, spirituel, libertin, ironique, élégant, désinvolte. La nature
est domestiquée en parcs - pourvus d'avenues, de boulingrins, de bassins, de
grottes, de pavillons et de statues - dans lesquels évoluent des figures dont
les noms conventionnels évoquent les jeux de la Préciosité, par exemple
Clitandre dans "Pantomime", Clymène dans "Dans la grotte" et "A Clymène",
Atys, Églé et Chloris dans "En bateau", ou Tircis et Aminte dans "Mandoline".
Le corps est mis en représentation, paré avec artifice, grâce à des masques
("Clair de lune") ou à une mouche qui "ravive l'éclat [...] de l'oeil"
("l'Allée"). Vêtements et parures sont somptueux, destinés à solliciter les
regards et à aiguiser les désirs: "Les hauts talons luttaient avec les longues
jupes, / En sorte que, selon le terrain et le vent, / Parfois luisaient des
bas de jambes, trop souvent / Interceptés! - Et nous aimons ce jeu de dupes"
("les Ingénus"). Raffiné, tant dans ce qu'il met en scène que dans sa facture
poétique, l'art verlainien se plaît, l'exemple précédent en témoigne, à de
subtils rejets qui soulignent le sens, non sans humour, et confèrent au vers
une musicalité particulière. Fréquemment évoquée dans le recueil car elle fait
partie de l'environnement coutumier des personnages, la musique fonde aussi le
charme et l'originalité de la poésie des Fêtes galantes. Ainsi "Sur l'herbe",
faisant fi de toute logique, voire du langage lui-même, mime l'euphorie d'un
chant suscité par l'ivresse: "- Ma flamme... - Do, mi, sol, la, si./ [...] -
Messieurs, eh bien? / - Do, mi, sol. - Hé! bonsoir, la Lune!" Ailleurs, ce
sont la variété, le caractère inhabituel et la brièveté des mètres, cette
dernière entraînant un retour rapide de la rime et de nombreux rejets, qui
engendrent une mélodie inédite et typiquement verlainienne: "Arlequin aussi /
Cet aigrefin si / Fantasque / Aux costumes fous, / Ses yeux luisant sous / Son
masque" ("Colombin"). L'utilisation fréquente de l'assonance et de
l'allitération contribue également à la musicalité, souvent ludique, du vers:
"Et filons! - et bientôt Fanchon / Nous fleurira - quoi qu'on caquette!" ("En
patinant").
Le comportement des personnages qui peuplent les Fêtes galantes est codé et
étudié ("Avec mille façons et mille afféteries", "l'Allée"). Le paraître est
savamment orchestré et appelle un décryptage sur ce théâtre - nombreuses sont
d'ailleurs les références aux personnages de la commedia dell'arte - du
badinage érotique: "On est puni par un regard très sec, / Lequel contraste, au
demeurant, avec / La moue assez clémente de la bouche" ("A la promenade").
Toujours teinté d'un léger humour - ainsi, "un baiser sur l'extrême phalange /
Du petit doigt" est une chose "immensément excessive et farouche" dans "A la
promenade" -, le marivaudage se fait parfois plus audacieux, sinon parodique,
par exemple lorsqu'une belle, "gantée avec art" et drapée dans sa "lourde
robe" attire l'"insolent suffrage", c'est-à-dire attise le brûlant et sauvage
désir de ses compagnons familiers, un singe et un négrillon. Dans "les
Coquillages", le jeu de la métaphore précieuse, qui associe les coquillages
d'une grotte à diverses parties du corps de l'amante, se termine par une chute
où se mêlent humour, galanterie et érotisme: "Mais un, entre autres, me
troubla."
La fantaisie du recueil, son aspect badin, voire anodin, ne sauraient masquer
la présence d'une tristesse qui y imprime comme un voile permanent. Ainsi, le
premier poème invite déjà à repérer un décalage ou une discordance au sein de
la voix qui chante, à percevoir une détresse exprimée en sourdine derrière
l'apparence: "Tout en chantant sur le mode mineur / L'amour vainqueur et la
vie opportune, / Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur / Et leur
chanson se mêle au clair de lune" ("Clair de lune"). Certes, l'amour et le
bonheur sont offerts mais leur appropriation ne s'effectue pas pleinement.
Toujours balancée au rythme d'un "souffle berceur" ("En sourdine"), soumise à
des principes contradictoires et traduite volontiers par des images
oxymoriques, l'expérience verlainienne ressemble à ces jets d'eau que l'on
voit "sangloter d'extase" dès le poème initial.
Le plaisir est inséparable d'une mélancolie inspirée sans doute par la
conscience du caractère provisoire et périssable de toute chose. Ainsi le
décor même des Fêtes galantes paraît parfois fragile, menacé. Dans "A la
promenade", par exemple, les adjectifs confèrent avec insistance au décor une
inquiétante précarité - "Le ciel si pâle et les arbres si grêles" - qui le
porte au bord de l'évanescence. Les derniers poèmes des Fêtes galantes
confirment et aggravent cette impression d'angoisse, sensible dès "Clair de
lune" et perceptible dans divers autres textes. L'"exquise mort", qui
consisterait, pour les amants, à mourir d'amour ensemble, est traitée, dans
"les Indolents", sur un mode franchement comique; elle ne s'accomplit pas
puisque les protagonistes "Eurent l'inexpiable tort / D'ajourner une exquise
mort. / Hi! hi! hi! les amants bizarres." Ce poème, iconoclaste en ce qu'il
désacralise le sentiment, semble préfigurer "l'Amour par terre" qui dit peu
après, sur un mode grave, la destruction de l'Amour dont "le vent de l'autre
nuit a jeté bas" la statue: l'exclamation "Oh! c'est triste!" vient à deux
reprises souligner le caractère douloureux du spectacle. Cette fois, le rire
n'est plus de mise et tout se passe comme si l'univers des Fêtes galantes, un
moment surgi du néant, des temps anciens et de l'imagination du poète,
s'abolissait à tout jamais. Dans le dernier poème, "Colloque sentimental", le
parc est désormais "solitaire et glacé". Les personnages ne sont plus que
"deux formes" fantomatiques, "deux spectres": "Leurs yeux sont morts et leurs
lèvres sont molles, / Et l'on entend à peine leurs paroles." Le recueil
choisit de se clore sur cette parole qui s'anéantit et sur une note
désespérée: "L'espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir." La magie et les
mirages des Fêtes galantes ne sauraient masquer, dans la poésie de Verlaine,
la "voix [du] désespoir" ("En sourdine").
Invectives, Paul Verlaine 1896 :
Recueil poétique de Paul Verlaine (1844-1896), publié à Paris chez Léon Vanier
en 1896. Dix-huit poèmes avaient auparavant paru en revue entre 1884 et 1886,
puis entre 1891 et 1895.
Les premiers poèmes d'Invectives sont contemporains de Sagesse et constituent
l'ultime reliquat de Cellulairement (voir Sagesse, Jadis et Naguère et
Parallèlement). Verlaine avait d'abord songé à placer cet ensemble dans Amour,
sous le titre Res publica. Plus tard, en 1895, il semble vouloir réduire
Invectives à un chapitre du Livre posthume. L'organisation de l'édition
originale est finalement due à l'éditeur plus qu'à Verlaine lui-même. En
effet, peu près la mort de ce dernier, Vanier publie le manuscrit d'Invectives
que le poète n'avait pas eu le temps de mettre définitivement en ordre.
Invectives est un long recueil comportant soixante-neuf poèmes, pourvus chacun
d'un titre. Les formes poétiques sont variées, quoique sans audace, mais le
recueil trouve son unité dans l'utilisation constante d'un ton polémique
particulièrement agressif. Bien que l'ouvrage ne soit pas divisé en sections,
des ensembles se dessinent. Ils correspondent aux divers domaines que prend
pour cibles la fureur du poète. Celle-ci est très intense et semble infinie,
tant sont nombreux les objets qui la suscitent. Verlaine s'en prend ainsi à la
poésie et aux écrivains contemporains ("l'Art poétique ad hoc", "Littérature",
"Metz", "Portrait académique", "A Édouard Rod", "Ecce iterum Crispinus", "la
Ballade de l'école romane", "Jean-René", "Conseils", "Pour Moréas", "l'Éternel
Sot", "Arcades ambo"). Il invective également les éditeurs dans "Anecdote",
"Un éditeur", "Ballade en faveur de Léon Vanier et Cie". Ailleurs, il
stigmatise violemment la République et les politiciens ("Buste pour mairies",
"Thomas Diafoirus", "Nébuleuses", "Opportunistes", "Un peu de politique"). Il
fustige aussi bien les responsables de l'urbanisme ("Un peu de bâtiment") que
les Parisiennes ("Contre les Parisiennes", "Sur la manie qu'ont les femmes
actuelles de relever leurs robes"). Les institutions qui assurent le maintien
de l'ordre social, c'est-à-dire surtout la justice ("A un magistrat de boue",
"Autre magistrat", "Compliment à un magistrat", "Sonnet pour larmoyer") et la
police ("Petty larcenies", "Cognes et flics") sont également l'objet de la
vindicte du poète.
Invectives est le recueil de la haine et des rancunes, d'une hargne
généralisée à laquelle seule, semble-t-il, la mort du poète put mettre un
terme. Si Verlaine n'a pas lui-même clos l'ouvrage, c'est peut-être en effet
en raison du caractère inépuisable de sa verve accusatrice. Le recueil, qui
n'a d'autre principe de cohésion que l'infini des matières abordées, donne en
tout cas l'impression que l'imprécation est intarissable, que rien ne pourrait
en interrompre le flot.
Dans cette parole acerbe, Verlaine puise à l'évidence délectation et
jubilation. Dès la caractérisation initiale de l'ouvrage, le plaisir apparaît
comme étroitement lié à la médisance: "Ce livre où mon fiel s'amuse"
("Post-scriptum au Prologue"). Dans un poème où il parodie son propre "Art
poétique" (voir Jadis et Naguère), le poète dévoile la part de jouissance
inhérente à une telle écriture atrabilaire: "[...] l'ire, / [...] Sort de moi
pour un grand festin à belles dents [...] Ce festin, je ferai des milliards de
lieues / Pour me l'offrir et le manger avec les doigts, / Goulûment, salement,
sans grand goût ni grand choix" ("l'Art poétique ad hoc").
Cri viscéral, la poésie ainsi pratiquée risque de ne pas dépasser le stade de
la satisfaction personnelle et le lecteur peut difficilement partager ce
festin dont parle Verlaine, pas toujours du meilleur goût en effet.
Invectives, recueil polémique, cherche peu à exploiter les subtilités de ce
genre pourtant riche, encore moins à le renouveler. La langue est d'ailleurs
parfois elle aussi mise à mal, volontairement estropiée ("Rastas"), tout comme
la qualité des procédés poétiques demeure médiocre: "Ça rime mal, / Mais c'est
égal!", précise une note de l'"Ode à Guillaume II".
L'énoncé s'exprime directement et littéralement, sans guère de détours ni
d'images. Verlaine se livre ainsi à des insultes franches et nominales: "Ghil
est un imbécile" ("Conseils"), "L'éternel sot qui fut jadis Fréron / Et
maintenant se nomme Brunetière" ("l'Éternel Sot"). Le trait est parfois
mesquin lorsque, faisant feu de tout bois, le poète n'hésite pas à mêler à la
querelle littéraire la vie privée de ses ennemis: "H. Fouquier, auquel E.
Feydeau / Légua sa veuve avec ses rentes" ("Arcades ambo"). Verlaine puise
aussi abondamment l'inspiration de ses Invectives ou de ses "Griefs" dans son
expérience personnelle, par exemple dans ses fréquentations féminines: "Elle
est méchante, c'est la gale! / Et vraiment pour t'avoir "gobée", / Il m'a
fallu quelque fringale, / Mademoiselle Machabée" ("Pour Mademoiselle E...
M...").
Lentement mais sûrement épuisé au fil des recueils qui continuent pourtant de
se succéder, le souffle poétique verlainien connaît ici comme un dernier
sursaut d'impuissance. Le poète en est peut-être conscient lorsqu'il écrit
dans "Post-scriptum au Prologue": "Je récuse comme Muse / Celle qui ne sut
m'aimer." Dans Invectives, la poésie est en effet congédiée au profit des
dépits rageurs et des règlements de compte haineux.
Jadis et naguère, Paul Verlaine 1884 :
Recueil poétique de Paul Verlaine (1844-1896), publié à Paris chez Léon Vanier
en 1884. Toutes les pièces du recueil, à l'exception de "Sonnet boiteux", "les
Uns et les Autres", "le Poète et la Muse" et "Don Juan pipé", avaient déjà été
données dans diverses revues entre 1867 et 1884.
Jadis et Naguère est un recueil hâtivement constitué, à une époque où Verlaine
se trouve dans la nécessité de vivre de sa plume et où il commence à jouir
d'une certaine notoriété grâce à la parution dans Paris moderne, en 1882, du
poème "l'Art poétique" (écrit en 1874 et recueilli dans Jadis et Naguère) et à
la publication en revue, à partir de 1883, des études des Poètes maudits (Léon
Vanier, 1884). En outre, le roman de Huysmans, A rebours, révèle au public, en
1884, les "vagues et délicieuses confidences" de l'art de Verlaine, bientôt
considéré comme le chef de file du décadisme.
La plupart des poèmes rassemblés dans Jadis et Naguère ont été écrits
longtemps avant la publication du volume. Certains ont notamment été composés
durant le séjour effectué par Verlaine en prison entre juillet 1873 et janvier
1875, et le poète avait alors songé à les regrouper en un volume intitulé
Cellulairement; mais, conscient de leur disparité, il en retint finalement
quelques-uns pour Sagesse et dispersa les autres dans Jadis et Naguère et
Parallèlement.
Le recueil est divisé en deux parties intitulées "Jadis" et "Naguère". La
première, bien plus longue que la seconde, comprend un Prologue, suivi de
trois sections: "Sonnets et autres vers", "Vers jeunes" et "A la manière de
plusieurs". "Naguère" comporte un Prologue et cinq poèmes,"Crimen amoris", "la
Grâce", "l'Impénitence finale", "Don Juan pipé" et "Amoureuse du diable",
sortes de contes diaboliques qui renouent avec un type de poésie narrative et
romanesque pratiquée par les romantiques, Musset et Gautier notamment. Des
pièces réalistes - "le Clown", "l'Auberge", "l'Angélus du matin", etc. -
écrites entre 1867 et 1870 côtoient une fête galante dialoguée de forme
théâtrale datée de 1871 ("les Uns et les Autres"). On y trouve également un
long poème d'inspiration révolutionnaire, "les Vaincus", ainsi que des textes
des années 1867-1869 dénonçant les injustices sociales ou dressant de la
guerre des tableaux horribles et accusateurs: "le Soldat laboureur", "les
Loups", "la Soupe du soir". Certains poèmes, tels par exemple "Pantoum
négligé" ou "Un pouacre", adoptent un ton humoristique ou satirique. Quant à
l'esthétique des contes diaboliques - "choses crépusculaires" selon le
Prologue de "Naguère" -, elle est fort différente de celle d'autres pièces
telles que "Kaléidoscope", "Vendanges" ou "Images d'un sou", issues pourtant
elles aussi de Cellulairement, mais d'une facture bien plus originale et
novatrice.
Le titre du recueil renvoie au contenu des poèmes, volontiers tournés vers un
passé lointain - "A la louange de Laure et de Pétrarque", "la Pucelle", "la
Princesse Bérénice" - ou proche - "Dizain mil huit cent trente", "le Soldat
laboureur" (qui dépeint la vieillesse d'un grognard). Ce passé peut être aussi
celui de Verlaine, lorsque la poésie se fait confession ou évocation
repentante des souvenirs, notamment dans "Crimen amoris" qui retrace la
liaison avec Rimbaud. En outre, le titre de Jadis et Naguère peut aussi faire
allusion à l'étalement chronologique de la composition des textes et donc au
caractère hétérogène du volume. Verlaine écrit à un critique non identifié, le
5 février 1883: "J'ai tout prêt sous le titre: Choses de jadis et de naguère,
un recueil de tous les vers que je n'ai pu publier depuis 1867 jusqu'en 1874."
Il est donc malaisé de porter un regard d'ensemble sur le recueil.
Certaines pièces - "les Loups" ou "les Vaincus" notamment - laissent deviner
leur modèle, Coppée en l'occurrence, et relèvent d'une rhétorique plutôt
conventionnelle. Il en va de même pour les contes diaboliques de "Naguère" qui
s'inscrivent dans une veine résolument romantique, au demeurant tournée
ailleurs en dérision par le poème intitulé "Dizain mil huit cent trente".
Plus attachantes sont les pièces où l'on reconnaît la voix proprement
verlainienne, dont le fameux "Art poétique" dégage les principes fondamentaux:
"De la musique avant toute chose, / Et pour cela préfère l'Impair", "Il faut
aussi que tu n'ailles point / Choisir tes mots sans quelque méprise", "Car
nous voulons la Nuance encor, / Pas la Couleur, rien que la nuance!", "Prends
l'éloquence et tords-lui son cou!" Abolie la frontière entre la réalité et le
songe, l'univers verlainien se déploie alors, avec ses ambiguïtés et ses
nuances, ses vertiges et sa magie. Protéiforme, insaisissable et mouvant, il
est comme vu en effet dans un "Kaléidoscope": "Ce sera comme quand on rêve et
qu'on s'éveille! / Et que l'on se rendort et que l'on rêve encor." L'emploi du
futur ici, tout comme ailleurs celui du conditionnel - "A grands plis sombres
une ample tapisserie / De haute lice, avec emphase descendrait" ("Intérieur")
- ou de l'irréel du passé - "J'eusse été fatal" ("Dizain mil huit cent
trente") - contribuent à estomper toute limite entre le réel et la rêverie:
"Toute histoire qui se mouille / De délicieuses larmes, / [...] Aussitôt chez
moi s'embrouille, / Se mêle à d'autres encore, / Finalement s'évapore / En
capricieuses nues" ("Images d'un sou"). Imprécis et fugace, porteur tout à la
fois de souffrance et de plaisir, le paysage verlainien est toujours suspendu
au bord de sa propre dissolution.
La bonne chanson, Paul Verlaine 1870 :
Recueil de poésies lyriques de Paul-Marie Verlaine (1844-1896), publié en
1870.
Ces poèmes, qui lui furent inspirés par ses fiançailles avec Mathilde
Mauté de Fleurville, expriment la joie et la tendresse du poète pour la
créature qui est sur le point d'entrer dans sa vie: du même coup, l'auteur
redécouvre, dans toute sa pureté, le charme de la création. En célébrant la
beauté de sa fiancée, la beauté de son sourire et de ses baisers ("La lune
blanche"), l'artiste exprime en un frisson délicat, l'amour attentif qu'il
porte à tous les petits événements de la vie quotidienne ("La dure épreuve va
finir"). La figure de la femme aimée illumine toute son existence et l'incite
à contempler les souffrances des humbles: grâce à elle, le poète atteindra à
la paix tant désirée ("Le bruit des cabarets"). Son inspiration est liée à son
mariage imminent, si bien que ce recueil a quelque chose d'heureux et de
facile: toute émotion se résout en une musique légère et sentimentale. A côté
de ces effusions lyriques, on peut noter d'aimables poèmes descriptifs,
certaines observations spontanées et fraîches qui rappellent la première
manière de l'auteur, alors qu'il était encore fidèle aux principes de l'école
parnassienne. A ce recueil, comprenant à l'origine vingt-et-un poèmes sans
titre, il faut ajouter trois "Vieilles bonnes chansons" de 1869-1870,
comprises d'abord dans les "Confessions" de 1895, et la dédicace à la femme
aimée, qui ne fut pas imprimée alors, mais parut dans une revue en 1897, puis
en 1913 parmi les "Oeuvres posthumes": dans ces petites poésies, Verlaine
affirme de nouveau son idéal d'une vie qui, dans sa simplicité familière,
serait entièrement consacrée à l'affection d'une âme qui en serait digne.
Les poètes maudits, Paul Verlaine 1883 :
Essai critique de Paul-Marie Verlaine (1844-1806), paru pour la première fois
en 1883 dans la revue littéraire d'avant-garde "Lutèce" (dirigée par Léo
Trézenic): publié en volume chez Vanier en 1884 et en 1888.
Les "poètes
maudits" de 1883 et 1884 n'étaient que trois: Tristan Corbière, Rimbaud et
Mallarmé: dans l'édition de 1888, ils sont au nombre de six: les trois cités,
Marceline Desbordes-Valmore (dont Verlaine devait la connaissance à Rimbaud),
Villiers de l'Isle-Adam et enfin le "Pauvre Lélian", "celui qui aura eu la
destinée la plus mélancolique", c'est-à-dire Verlaine lui-même. Par "poètes
maudits" Verlaine entend les vrais poètes, les "poètes absolus" (c'est ainsi
qu'il les appelle dans son avant-propos), inconnus de son temps. On peut,
dit-il, reprocher à Corbière ses irrégularités; mais "les impeccables ce sont
tels et tels. Du bois, du bois et encore du bois. Corbière était en chair et
os tout bêtement. Chez Rimbaud (que, rappelle-t-il pudiquement), "nous avons
eu la joie de connaître"), il exalte "l'immortelle royauté de l'Esprit, de
l'Ame et du Coeur humains: la Grâce et la Force et la grande Rhétorique" niées
par nos pittoresques, nos étroits naturalistes de 1883. De Mallarmé, il
reprend l'éloge qu'il en avait déjà fait dans le "Voyage en France par un
français" (1880) et où il disait que "préoccupé, certes!! de la beauté, il
considérait la clarté comme une grâce secondaire et, pourvu que son vers fût
nombreux, musical, rare, et, quand il le fallait languide ou excessif, il se
moquait de tout pour plaire aux délicats, dont il était, lui, le plus
difficile. L'essai de Verlaine occupe, dans l'histoire littéraire moderne, une
place extrêmement importante.
En 1883, si Verlaine commençait à être connu,
les noms des poètes dont il parlait étaient ignorés ou oubliés. Les poèmes de
Corbière, de Mallarmé et surtout de ceux de Rimbaud, dont les célèbres
"Voyelles" et "Le bâteau ivre", qu'il citait à l'appui de son fervent éloge,
furent une révélation pour le public. Leur célébrité date de là: elle devait
être consacrée l'année suivante par la parution d' "A rebours", où Huysmans
fait figurer les oeuvres de Corbière, de Mallarmé et de Verlaine parmi les
préférées de son héros Des Esseintes (non Rimbaud parce que, expliquera
Huysmans plus tard, il n'avait encore rien publié à cette époque). C'est ainsi
que naquit ce "décadentisme" auquel le mouvement symboliste se rattache
directement.
Les mémoires d'un veuf, Paul Verlaine 1886 :
Recueil de fragments en prose de Paul Verlaine (1844-1896), publié à Paris
chez Léon Vanier en 1886. De nombreuses pièces avaient été antérieurement
publiées en revue, certaines dès 1867, la plupart entre 1883 et 1886.
Les textes les plus anciens des Mémoires d'un veuf sont contemporains des
Fêtes galantes, mais le recueil a été pour l'essentiel composé entre la fin de
l'année 1882 et la fin de 1885. L'ouvrage fut dans l'ensemble négligé par la
critique. Émile Verhaeren lui consacra cependant un article dans lequel il
définit le volume comme «une sorte de flânerie à travers une vie, flânerie des
yeux, des rêves, des pas» (l'Art moderne, 14 novembre 1886).
Les Mémoires d'un veuf se composent de trente-quatre fragments en prose,
pourvus chacun d'un titre. Ils sont précédés d'une «Dédicace» à laquelle
l'ultime pièce, intitulée «Humble Envoi», fait pendant. Dès 1887, Verlaine
songeait à publier un second volume des Mémoires d'un veuf. Celui-ci ne vit
jamais le jour mais huit textes furent composés dans cette perspective et sont
désormais adjoints aux Mémoires, bien qu'ils ne figurent pas dans l'édition
originale.
Plusieurs pièces sont consacrées à la description de Paris («Cheval de
retour», «Palinodie»), ou de sa banlieue («Auteuil»), univers infernal mais
riche en lieux et scènes pittoresques («Un bon coin», «Nuit noire»), parfois
macabres («Jeux d'enfants», «Corbillard au galop»), voire en visions («Nuit
blanche» met en scène une rencontre nocturne entre Villon et Musset). Quelques
fragments satiriques campent le portrait de personnes appartenant à la vie
privée de Verlaine («Bons Bourgeois», «Formes»). Les artistes contemporains
sont stigmatisés dans «les Estampes», «Lui toujours _ et assez», «Du Parnasse
contemporain». Deux textes plus longs que les autres et divisés en plusieurs
sections forment des compositions à part, des «choses pour la scène» dont le
titre propose une désignation générique différente de celle du recueil:
«Scénario pour ballet» et «Motif de pantomime».
En 1870, Verlaine publia certaines pièces des Mémoires d'un veuf sous le titre
de Poèmes en prose. Certes, le recueil rassemble des textes brefs, pour la
plupart, et en prose. En outre, la référence explicite au «grand Baudelaire»
(«Chiens») et l'inspiration parisienne de nombreuses pièces placent l'ouvrage
sous les auspices du genre. La prose des Mémoires n'atteint toutefois que
rarement une véritable dimension poétique, et ce n'est sans doute pas un
hasard si l'auteur a finalement choisi un titre qui privilégie l'intention
autobiographique. Celle-ci est manifeste dès le début du premier texte:
«J'entreprends de décrire aussi minutieusement que possible quelques-uns de
mes rêves de chaque nuit» («Quelques-uns de mes rêves»). Auparavant, la
«Dédicace» avait précisé en ces termes les contours de l'ouvrage: «Voici
quelques pages sous un titre énorme, qui ne sont ni un petit roman ni un
recueil de minuscules nouvelles, mais bien des parcelles d'une chose vécue.»
Il n'est plus question de poèmes en prose. C'est désormais l'implication
personnelle qui l'emporte, celle du «veuf», c'est-à-dire d'un Verlaine qui a
fait le deuil de sa femme Mathilde, avant même le remariage de cette dernière
qui eut lieu le 30 octobre 1886, puisque le titre des Mémoires d'un veuf
apparaît dès 1882.
Le livre renoue avec l'idée d'écrire un «grand roman intime», caressée par
Verlaine en 1873, et atteste que le projet n'a pas été totalement abandonné.
La continuité romanesque a cependant fait place à une construction
fragmentaire et Verlaine avoue que son «livre n'a pas le caractère de
Mémoires, tel qu'on entend d'ordinaire ce mot»; il ajoute: «Mais j'ai le droit
très net de me servir d'un mot commode, large, traditionnellement élastique,
pour désigner une série d'impressions, de réflexions, etc., émanant d'un homme
qui serait aussi libre, indépendant, dégagé, aussi désintéressé qu'égoïste et
le spectateur par excellence, par exemple, qu'un veuf» («Apologie»). Le
morcellement est ainsi revendiqué comme la marque d'une écriture en liberté,
douée de souplesse et de variété.
L'effet poétique, bien qu'il soit parfois recherché, est, hélas! le plus
souvent absent. Ainsi, la scène parisienne dont le poète est témoin dans «Nuit
noire» n'est qu'un pâle reflet de l'univers baudelairien et relève plutôt du
mélodrame convenu. Le recueil est en outre envahi par l'anecdote personnelle,
la confidence sentimentale et l'exposé de rancunes diverses. On reconnaît
Mathilde («la Morte»), les beaux-parents de Verlaine («Bons Bourgeois») et
jusqu'à leur avoué («Formes»). Le détail trivial n'est pas toujours épargné:
«La semaine dernière j'ai failli succomber aux suites d'un courant d'air
compliquées de colique sèche et de sueur froide» («Caprice»). Lorsqu'il est
question de littérature, par exemple dans «Du Parnasse contemporain» ou dans
«Lui toujours _ et assez», consacré à Victor Hugo, le ton est celui de la
critique journalistique. Les lourdeurs rhétoriques _ «Pour revenir à Paris et
en finir avec», «sauf le cas de Londres, ci-dessus énoncé» («Quelques-uns de
mes rêves») parasitent jusqu'à l'évocation onirique et lui confèrent des
allures de dissertation maladroite.
Partout présent, le prosaïsme empêche le surgissement de l'étincelle poétique.
Certaine remarque ironique excède peut-être la formule convenue pour trahir la
possible lucidité de Verlaine: «Aussi vais-je mettre le point c'est tout à ma
grande joie et je pense à celle du lecteur, à qui j'avais promis des choses
amusantes et qui, du moins, n'aura eu qu'une courte déception» («Quelques-uns
de mes rêves»). Le choix formel du fragment en prose serait-il un aveu
d'impuissance poétique?
Parallèlement, Paul Verlaine 1889 :
Recueil poétique de Paul Verlaine (1844-1896), publié à Paris chez Léon Vanier
en 1889.
Tout comme Sagesse ou Jadis et Naguère, ce recueil contient des poèmes écrits
durant le séjour de Verlaine en prison (de juillet 1973 à janvier 1875) et
destinés à Cellulairement, ouvrage auquel le poète finit par renoncer.
Certaines pièces de Parallèlement sont plus anciennes encore. Les sonnets des
"Amies", notamment, avaient déjà été publiés en plaquette en 1867 chez
Poulet-Malassis. Ce n'est toutefois qu'à partir de 1885 que Verlaine se
consacre à la composition de Parallèlement, contemporaine de celle d'Amour.
Ces deux recueils, joints à Sagesse - qui les a précédés - et à Bonheur - qui
les suivra -, forment pour l'auteur une tétralogie. Cette dernière, ainsi que
Verlaine l'écrit en 1892 à un journaliste, retrace "l'histoire en quelque
sorte d'une conversion". Parallèlement y occupe une place particulière,
quelque peu décalée, "parallèle" en effet: alors que les trois autres recueils
célèbrent les bienfaits de la foi et les vertus de la religion chrétienne,
Parallèlement exalte la chair et ses péchés. L'inscription de l'ouvrage dans
une tétralogie chrétienne procède sans doute de la volonté de conjurer une
tentation charnelle que le condamné exprime pourtant en toute autonomie, sans
la réprouver mais sans non plus vraiment l'absoudre: "Parallèlement [...],
comme son nom l'indique, n'est à côté des professions de foi d'auparavant et
depuis [...] qu'une odieuse [...] confession de bien des torts sensuels [...].
Ce livre ne vient pas le dernier, ni tant s'en faut! le définitif de cette
tétralogie, laquelle se clôt par Bonheur, un livre sévère et tout, tout
chrétien" (ibid.).
Parallèlement s'ouvre sur un poème galant au ton satirique et grinçant,
adressé à la "cocodette un peu mûre", à la "coquine détestable": "Dédicace".
"Allégorie" offre ensuite le tableau d'une somptueuse décrépitude de toute
chose. La première section du recueil, "les Amies", comporte six poèmes
décrivant des amours saphiques. "Filles" consacre ensuite six pièces aux
prostituées côtoyées par le poète. Puis vient un cycle de sept poèmes,
"Révérence parler", qui fut composé en prison. La dernière section, "Lunes",
est nettement plus longue que les précédentes. Parodique et nostalgique à la
fois, elle met en perspective l'oeuvre antérieure dans des pièces telles que
"A la manière de Paul Verlaine", "la Dernière Fête galante" ou "Poème
saturnien". Le poète s'y livre également à une sorte de bilan de son
existence, par exemple dans "l'Impudent" ou dans "l'Impénitent". Le souvenir
de l'aventure rimbaldienne est évoqué à plusieurs reprises; on le trouve
notamment dans "Explication", "Autre explication" et "Laeti et errabundi", ce
dernier texte ayant été écrit après l'annonce erronée, en 1887, de la mort de
Rimbaud. L'organisation d'ensemble de Parallèlement ne semble toutefois pas
obéir à un rigoureux principe d'unité; le recueil est formé de poèmes très
divers dans le ton et l'inspiration.
Verlaine écrit le 28 novembre 1887 à Lepelletier que Parallèlement est un
"livre orgiaque, sans trop de mélancolie". Le corps et les plaisirs de la
chair y occupent en effet une place importante, quoique non exclusive. Bravant
les interdits de l' homosexualité et de la prostitution, cette poésie érotique
offre le spectacle d'amours transgressives et convie le lecteur, qui devient
ainsi complice, à y assister. Spectateur d'étreintes jugées coupables par
l'opinion, il contemple des unions secrètes et intimes et se trouve placé dans
une position perverse de voyeur.
L'écriture est à la fois directe et métaphorique, audacieuse et pudique: "La
plus jeune étend les bras, et se cambre, / Et sa soeur, les mains sur ses
seins, la baise, / Puis tombe à genoux, puis devient farouche / Et tumultueuse
et folle, et sa bouche / Plonge sous l'or blond, dans les ombres grises" ("les
Amies", II, "Pensionnaires"). Les mots et la mise en scène créent un jeu
subtil entre ce qui est dit et ce qui n'est que suggéré, entre ce qui est
montré et ce qui se dérobe. Ainsi, "Per amica silentia" ("les Amies", III)
masque la scène amoureuse derrière de "longs rideaux de blanche mousseline" et
n'en livre que les bruits. Dans "Sur le balcon" ("les Amies", I), les trois
derniers vers ouvrent le rideau, de façon fort théâtrale, mais refusent
pourtant encore le spectacle de l'étreinte qui demeure dans l'ombre et que
seules des traces permettent de deviner: "Derrière elles, au fond du retrait
riche et sombre, / Emphatique comme un trône de mélodrames / Et pleins
d'odeurs, le lit, défait, s'ouvrait dans l'ombre." Les poèmes consacrés à l'
homosexualité masculine et au souvenir de Rimbaud sont plus voilés encore,
laissant par exemple indécise l'identité sexuelle des partenaires ("Lunes",
"Ballade Sappho") ou privilégiant le registre métaphorique. Il arrive
cependant parfois que le corps soit montré sans détours, que le voile et la
retenue verbale cèdent la place à la nudité et à la crudité: "Tes mollets
farauds, / Ton buste tentant [...] / Ton cul ferme et gros" ("Filles", V, "+
Mademoiselle").
L'écriture érotique sait varier le plaisir des mots tout autant que celui des
amours décrites. Cette manière habile de mêler la nomination directe, voire
vulgaire, à la métaphore suggestive en témoigne, tout comme ailleurs l'union
d'un ton de badinage galant avec le sarcasme ("Dédicace") ou la parodie:
"Mignonne, allons voir si ton lit / A toujours sous le rideau rouge /
L'oreiller sorcier qui tant bouge / Et les draps fous. O vers ton lit!"
("Filles", I, "A la princesse Roukhine"). Ailleurs encore, la savante
composition rhétorique d'un poème tout entier fondé sur une métaphore filée
("les Amies", IV, "Printemps"), loin d'être un froid exercice de style,
atteste une jubilation ludique, une jouissance propre au verbe même.
Toutes les pièces de Parallèlement n'appartiennent pas, toutefois, au registre
érotique. On retrouve dans le recueil cette propension à la confidence
personnelle inhérente à la poésie verlainienne et que l'auteur semble
impuissant à endiguer. Expression du moi, le poème devient alors ressassant et
discursif. L'intensité poétique cède le pas à une sorte de linéarité
prosaïque: "J'ai perdu ma vie et je sais bien / Que tout blâme sur moi s'en va
fondre: / A cela je ne puis que répondre / Que je suis vraiment né Saturnien"
("Révérence parler", I, "Prologue d'un livre dont il ne paraîtra que les
extraits ci-après"). Parfois même, la poésie tourne à l'anecdote et se met au
service de polémiques dont l'enjeu est tout personnel et très limité.
L'emprise du souvenir provoque une accentuation du caractère narratif, qu'il
s'agisse du souvenir de l'union avec Mathilde - dans "Guitare" ("Lunes") par
exemple - ou de celui de la liaison avec Rimbaud - dont "Laeti et errabundi"
("Lunes") retrace le "roman".
Dans certaines pièces cependant se laisse encore entendre la voix verlainienne
des poèmes antérieurs à la conversion, celle dont l'"Art poétique" (voir Jadis
et Naguère) a défini les principes. C'est le cas par exemple dans "Impression
fausse", "Autre" ou "Réversibilités", mais de tels échos de l'esthétique
ancienne sont rares, et n'échappent pas à la suspicion parodique: un titre tel
qu'"A la manière de Paul Verlaine" ("Lunes") prouve bien que le poète se
perçoit désormais comme capable de s'imiter lui-même.
Après Parallèlement, qui est "en quelque sorte l'enfer de son Oeuvre chrétien"
(Avertissement de 1894), Verlaine poursuivra cette alternance, ce
"parallélisme" entre des recueils mystiques et des recueils "orgiaques". La
tentative de réunir la "Chair" et l'"Amour" que proposait déjà le poème
"Luxures", dans Jadis et Naguère, demeure un voeu pieux. Furieusement exaltée,
quoique non sans honte et remords, la sensualité se déploiera encore dans
"Chansons pour Elle" (1891), "Odes en son honneur" (1893), "Chair" (1896) et
dans des recueils imprimés sous le manteau et jugés encore aujourd'hui trop
scandaleux pour figurer dans les éditions des oeuvres poétiques de Verlaine,
Femmes (écrit en 1890 et imprimé en 1891), Hombres (1891 et 1903). Jamais
vraiment innocenté en dépit de la délectation avec laquelle le poète s'y
adonne, l'érotisme est bien cet "enfer" de l'"Oeuvre chrétien". Après Bonheur
(1891), les Liturgies intimes (1892) lui redonneront la parole.
Verlaine. Poèmes saturniens. ; 1866.
Recueil poétique de Paul Verlaine (1844-1896), publié à Paris chez Alphonse
Lemerre en 1866. Onze poèmes avaient auparavant paru en revue: en 1863,
"Monsieur Prudhomme" dans la Revue du progrès moral; en 1865, "Dans les bois"
et "Nevermore" dans l'Art, "Il Bacio", "Cauchemar", "Sub urbe", "Marine", "Mon
rêve familier", "Angoisse" dans le Parnasse contemporain, "Nuit du Walpurgis
classique" et "Grotesque" dans la Revue du XIXe siècle.
Les Poèmes saturniens constituent le premier recueil publié par l'auteur, qui
avait tout d'abord songé à l'intituler Poèmes et Sonnets. Les traits dominants
de l'esthétique verlainienne - qui culminera dans les Romances sans paroles
avant le retour, avec Sagesse, à des formes poétiques plus conventionnelles -
y sont déjà très affirmés. L'ouvrage parut cependant dans l'indifférence
générale. Les rares critiques dont il fit l'objet furent dans l'ensemble
malveillantes et les Poèmes saturniens restèrent ignorés pendant une vingtaine
d'années.
Après un poème liminaire qui explique le titre, le recueil s'ouvre sur un long
"Prologue" en alexandrins consacré au poète, à la permanence de son art et au
caractère sacré de sa mission: "Le Poëte, l'amour du Beau, voilà sa foi, /
L'Azur son étendard, et l'Idéal, sa loi!" Vient ensuite une première partie,
intitulée "Melancholia", que Verlaine avait sans doute songé un moment à
isoler pour la publier en plaquette. Elle comporte huit poèmes, dont sept sont
des sonnets et figurent parmi les textes les plus fameux du poète, notamment
"Nevermore", "Après trois ans", "Lassitude" et "Mon rêve familier". La
deuxième section, "Eaux-fortes", comprend cinq poèmes aux formes variées,
certains, comme "Cauchemar" (II) et "Marine" (III), mêlant divers types de
mètres, souvent impairs, conformément à "l'Art poétique" que le poète énoncera
plus tard (voir Jadis et Naguère). La troisième partie, intitulée "Paysages
tristes" et formée de sept poèmes, privilégie, ainsi qu'en témoignent certains
titres, les moments de déclin: celui du jour avec "Soleils couchants" (I),
"Crépuscule du soir mystique" (II), "l'Heure du berger" (VI); ou bien celui de
l'année avec "Chanson d'automne" (V). La quatrième section, "Caprice",
contient cinq poèmes, dont le ton humoristique va de la badinerie galante
("Femme et Chatte", I) à la satire ("Jésuitisme", II, "Monsieur Prudhomme",
V). Vient ensuite une série de douze poèmes dépourvus d'un titre commun et non
numérotés, de formes et d'inspirations diverses, généralement en alexandrins.
Le recueil se clôt sur un "Épilogue", constitué de trois poèmes, dans lequel
Verlaine dévoile sa conception de la création poétique.
Le poème liminaire définit en ces termes l'"influence maligne" qui préside à
la destinée du poète: "Or ceux-là qui sont nés sous le signe SATURNE, / Fauve
planète, chère aux nécromanciens, / Ont entre tous, d'après les grimoires
anciens, / Bonne part de malheurs et bonne part de bile. / L'Imagination,
inquiète et débile, / Vient rendre nul en eux l'effort de la Raison." Rien de
romantique, toutefois, dans cette fatalité. Verlaine souligne avec ironie la
distance qui le sépare par exemple d'un Lamartine ("Épilogue", III), et semble
plutôt en accord avec l'esthétique parnassienne: "Ce qu'il nous faut à nous,
les Suprêmes Poëtes / [...] A nous qui ciselons les mots comme des coupes / Et
qui faisons des vers émus très froidement, / [...] C'est l'Obstination et
c'est la Volonté!" (ibid.). L'ironie latente de certains vers invite toutefois
à considérer avec circonspection une telle allégeance. En réalité, cette
poésie ne ressemble à aucune autre et, en dépit du caractère composite du
recueil et de la facture encore conventionnelle de certains poèmes, les Poèmes
saturniens témoignent de l'originalité et de la modernité de la voix
verlainienne.
Cette voix, le poète la caractérise lui-même dans "Sérénade": "Ma voix aigre
et fausse." Privilégiant le déhanchement et la rupture, le vers se modèle au
rythme des sons plus qu'il ne se plie à la logique du sens et engendre ainsi
des harmonies inhabituelles, de surprenants effets de claudication syntaxique.
C'est sans doute "Chanson d'automne" ("Paysages tristes", V) qui va le plus
loin dans cette voie. Assonances et allitérations se mêlent pour engendrer un
flux lancinant et grinçant à la fois. La brièveté des vers scinde la lecture,
de multiples pauses retardant l'avènement du sens et laissant le poème dans un
constant suspens: "Les sanglots longs / Des violons / De l'automne / Blessent
mon coeur / D'une langueur / Monotone." L'angoisse, jamais nommée mais
manifestée à travers diverses expressions - "Tout suffocant", "Je pleure" -
est ainsi d'autant plus efficacement communiquée.
Univers de la sensation, de l'impression et du rêve, les Poèmes saturniens
procèdent par touches successives plutôt qu'ils n'obéissent à une continuité
narrative ou à une logique descriptive, à l'exception de quelques pièces
telles que "Nocturne parisien", "Marco", "César Borgia" ou "la Mort de
Philippe II". Ainsi, dans "Après trois ans" ("Melancholia", III), le paysage
d'un jardin se constitue peu à peu mais demeure morcelé, formé d'éléments
autonomes que le poème se borne à mettre côte à côte: une "humble tonnelle",
un "jet d'eau", un "vieux tremble", des "roses", de "grands lys", des
"alouettes", une "Velléda". Aucune vision totalisante n'organise l'espace, de
même que le texte, refusant l'anecdote et l'expansion sentimentale, demeure
muet sur les motivations de cette promenade et l'émotion qu'elle suscite. La
nostalgie, l'oeuvre destructrice du temps sont au coeur du poème mais
suggérées seulement, dessinées en filigrane à travers le spectacle de
l'immuabilité de la nature et grâce à de brèves notations temporelles - "Après
trois ans", "Comme avant" - ou à de simples préfixes itératifs - "J'ai tout
revu", "J'ai retrouvé".
L'un des traits dominants du "signe SATURNE" réside sans doute dans cette
perception aiguë et inquiète de la fuite du temps. Les Poèmes saturniens se
plaisent à évoquer le passé qui ne reviendra plus - des titres tels que
"Melancholia" ou "Nevermore" (ce dernier est utilisé deux fois) sont éloquents
à cet égard -, ou à traquer la fugacité du présent: "Et fais-moi des serments
que tu rompras demain, / Et pleurons jusqu'au jour, ô petite fougueuse!"
("Lassitude", "Melancholia", V). La femme rêvée est moins promise que d'emblée
vouée à la mort dont elle procède et dont elle ne parvient pas véritablement à
s'extraire: "Son regard est pareil à celui des statues, / Et, pour sa voix,
lointaine, et calme, et grave, elle a / L'inflexion des voix chères qui se
sont tues" ("Mon rêve familier", "Melancholia", VI).
Les Poèmes saturniens sont peuplés de souvenirs et de spectres. De discrets
mouvements s'y esquissent, presque toujours sous l'image du roulis, d'un
balancement typique de l'hésitation et de l'indécision saturniennes: "Balancés
par un vent automnal et berceur, / Les rosiers du jardin s'inclinent en
cadence" ("Épilogue", I). Les teintes sont estompées, ainsi que l'atteste la
récurrence d'adjectifs tels que "blême", "blafard" ou "morne". La mort envahit
le texte poétique et la détresse - "Mon âme pour d'affreux naufrages
appareille" ("l'Angoisse", "Eaux-fortes", VIII) - se dit à travers
l'évanescence et la déliquescence des choses: toute présence est saisie dans
sa précaire ténuité et porte l'angoisse d'une disparition.
Romances sans paroles, Paul Verlaine 1874 :
Recueil de vers de Paul Verlaine (1844-1896), publié en 1874. Renchérissant
sur la manière qu'il avait inaugurée dans "La bonne chanson", l'auteur évolue
hardiment vers un art beaucoup plus libre.
Dépris de l'influence parnassienne,
il se dépouille par surcroît de ses autres masques. Il devient cet homme
véridique, soucieux de tirer toute chose de lui-même, qu'il demeurera jusqu'à
sa mort -pour le plus grand bien de la poésie française. Sa voix prend un
nouvel accent, riche en inflexions inouïes et mûr pour ce chant profond qui
sillonne toute son oeuvre et demeure inimitable. On sait que la matière de
"Romances sans paroles" se rattache aux heures les plus noires de sa vie
sentimentale: la liaison particulière avec Rimbaud, la rupture dont l'épilogue
fut le fait-divers de Bruxelles, le tribunal correctionnel et les maux qui
s'ensuivirent. Verlaine compose tout son livre en prison. Bien qu'il n'y
chante encore que des amours profanes, il se révèle poète lyrique dans toute
l'acception du terme. Le recueil comporte une vingtaine de brefs poèmes qui
sont groupés de la manière suivante: "Ariettes oubliées", "Paysages belges" et
"Aquarelles". Il faut y ajouter un texte de plus longue haleine, intitulé
"Birds in the night" ("Vous n'avez pas eu toute patience, -Cela se comprend
par malheur, de reste -Vous êtes si jeune et l' insouciance - C'est le lot
amer de l'âge céleste"). La plus subtile naïveté se fait jour dans les
"Ariettes": "Il pleure dans mon coeur - Comme il pleut sur la ville. - Quelle
est cette langueur - Qui pénètre mon coeur?" Ou la mélodie la plus imprécise:
dans l'interminable "ennui de la plaine - La neige incertaine - Luit comme le
sable". Il arrive même que tout se réduise à un simple balbutiement: "O
triste, triste était mon âme - A cause, à cause d'une femme". Dans
"Aquarelles", on trouve l'incomparable élégie intitulée "Green", laquelle
passe à juste titre pour un des morceaux les plus achevés de la poésie
universelle: "Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches - Et
puis voici mon coeur qui ne bat que pour vous. - Ne le déchirez pas avec vos
deux mains blanches - Et qu'à vos yeux si beaux l'humble présent soit doux".
(Yves-Gérard Le Dantec observe que ce poème rend exactement le même timbre que
les "Roses de Saadi" de Marceline Desbordes-Valmore: "J'ai voulu ce matin te
rapporter des roses..."). On sait que le recueil de Verlaine passa d'abord
inaperçu. Il n'obtint un certain succès que douze ans plus tard, lors de sa
réimpression, en 1887. Aujourd'hui, certes, la plupart de ces poèmes vivent
dans la mémoire des hommes. On le conçoit: pareille musique prévaut sur bien
des sortilèges. Thibaudet, d'ailleurs, y voyait "le point le plus haut de la
fusée verlainienne".
Sagesse, Paul Verlaine 1880 :
Recueil de vers de Paul Verlaine (1844-1896), publié en 1880. Les premiers
poèmes de "Sagesse" datent de 1874 et ont été écrits à la prison de Mons où
Verlaine se trouvait enfermé. Il avait été écroué à Bruxelles, le 10 juillet
1873, "sous prévention de blessures faites au moyen d'armes à feu sur la personne d'Arthur Rimbaud", comme dit le rapport établi à l'époque par les
gendarmes de la ville. Il s'agissait d'une blessure légère faite d'un coup de
revolver au bras de son ami qui voulait le quitter; mais les juges belges, en
considération sans doute des mobiles qui avaient déterminé le geste criminel,
se montrèrent impitoyables à l'égard du "poète maudit" à qui ils infligèrent
deux ans de prison ferme, le maximum de la peine. A Mons, l'ancien communard,
"après une nuit douce amère passée à méditer sur la Présence réelle" se sentit
touché par la grâce et chercha dans la religion la consolation de ses misères
et le pardon de ses péchés. "Sagesse" est le fruit de cette conversion,
indiscutablement sincère, bien qu'elle n'empêchât pas le poète d'écrire en
même temps quelques-uns des vers licencieux qui figurent dans "Parallèlement".
Peu après sa sortie de prison, intervenue quelques mois avant la date prévue,
le 16 janvier 1875, Verlaine alla s'enfermer à la Trappe, mais il ne put y
tenir plus d'un mois. Il ne devait pas tarder à reprendre sa vie de bohème et
licencieuse d'autrefois. Mais il ne renia pas pour autant son adhésion au
catholicisme et bon nombre parmi les poèmes de "Sagesse" sont postérieurs à sa
libération. Quant à la valeur poétique du recueil, sans doute quelques-uns
parmi les plus connus, et aussi les plus beaux poèmes de Verlaine, y
figurent-ils ("Ecoutez la chanson bien douce"; "Les chères mains qui furent
miennes"; "L' espoir luit comme un brin de paille dans l' étable"; "Je suis
venu calme orphelin"; "Un grand sommeil noir"; "Le ciel est par-dessus le
toit"; "Je ne sais pourquoi"; "Le son du cor s'afflige dans les bois";
"L'échelonnement des haies"); mais ce sont rarement les plus "catholiques";
l'inspiration en est plutôt comparable à celle des "Romances sans paroles". En
réalité, le catholicisme de Verlaine, autour duquel on a tant discuté, n'a
apporté aucun élément nouveau à son génie poétique, qui avait déjà atteint à
cette époque son plein épanouissement.
J'écrivais vers sur vers en me croyant armé
RépondreSupprimerD'une rime légère et toujours bien dosée,
Alors qu'elle n'était seulement qu'empesée
Par d'absurdes erreurs à chaque bout rimé.
J'ai recherché le style alerte et parfumé,
De cette poésie étroitement prisée.
J'ai relu des auteurs à la muse aiguisée,
Baudelaire ou Boileau, Verlaine ou Mallarmé.
Et j’ai trouvé ainsi le vrai plaisir d'écrire
Car à travers leur art, enfin j'ai pu proscrire
Les errements douteux qui retenaient ma plume.
Et je sais maintenant, pour ne point rimailler,
Poser sur le papier comme un fer sur l'enclume,
Quelques vers encor chauds pour mieux les travailler.
t'aime les baton?
Supprimerps:tu degoute
j'aime pas les gai
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